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soûl. » Instruite par sa mère de cette conversation, Catherine se hâta de faire placer le lit, dans l’espérance d’y coucher la nuit suivante. Elle fit en sorte de voir Richard dans le bourg ; mais n’ayant pu lui parler, elle l’en avertit par un signe dont ils étaient convenus.

Le soir, dès qu’elle fut couchée, son père ferma une porte qui communiquait à la galerie, et alla se coucher aussi. Richard, jugeant que tout le monde dormait, monte à l’aide d’une échelle sur un mur, du haut duquel il grimpe, non sans beaucoup de peine et de danger, sur des pierres d’attente d’un autre mur, et gagne la galerie, sans faire le moindre bruit. La belle, qui ne dormait pas, le reçut avec la plus grande satisfaction. Ils passèrent la nuit fort agréablement, et firent plusieurs fois chanter le rossignol ; mais pas si souvent qu’ils l’auraient voulu l’un et l’autre. Cet oiseau, pour reprendre haleine, mettait des intervalles dans son chant, qui n’en devenait que plus agréable chaque fois qu’il le recommençait. Dans un de ces intervalles, qui n’étaient pas fort longs, nos amants accablés soit de fatigue, soit de chaleur, furent surpris par le sommeil vers la pointe du jour. Ils étaient tout nus sur le lit, et la belle embrassait alors son amant du bras droit, et tenait de la main gauche le rossignol qu’elle avait fait chanter. Il était grand jour et ils dormaient encore, lorsque Litio, s’étant levé et se souvenant que sa fille avait couché dans la galerie, disait en soi-même : « Il faut que je voie un peu comme le rossignol aura fait dormir Catherine. »

Il s’approche du lit sur la pointe des pieds, de peur de l’éveiller, ouvre tout doucement les rideaux, et voit Richard et sa fille dans la susdite posture. Il ne dit mot, et va de ce même pas trouver sa femme. « Levez-vous promptement, lui dit-il, venez voir votre fille ; vous savez l’envie qu’elle avait du rossignol : elle a si bien fait le guet cette nuit, qu’elle l’a pris ; venez voir comme elle le tient dans sa main. — Ce que vous dites là, serait-il bien vrai ? lui répondit-elle. — N’en doutez pas ; vous en serez convaincue, si vous vous dépêchez de me suivre. » Madame Jacquemine saute du lit, s’habille à la hâte, suit son mari, qui lui dit de ne point faire de bruit, et voit sa fille qui tenait effectivement le rossignol, qu’elle désirait si fort d’entendre chanter. Piquée de se voir trompée à ce point par Richard, qu’elle n’aurait jamais soupçonné d’une pareille trahison, elle allait l’éveiller pour l’accabler d’injures, si son mari ne l’en eût empêchée. « Gardez-vous bien de faire le moindre éclat, lui dit-il ; ce serait la plus grande de toutes les sottises. Puisque notre fille l’a choisi pour amant, elle l’aura pour époux. Il est riche et bon gentilhomme ; le parti est aussi avantageux que nous puissions le désirer. Si donc Richard veut sortir d’ici comme il y est venu, il faudra qu’il l’épouse ; et alors, croyant avoir mis le rossignol dans une cage étrangère, il se trouvera qu’il ne l’aura logé que dans la sienne. » La dame, voyant son mari si raisonnable, modéra sa colère ; et n’éveilla point le couple amoureux, d’autant plus que sa fille dormait d’un fort bon sommeil,