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pas possible, avec cette gêne, de faire ce que tu désires ; mais fournis-moi les moyens de nous voir sans crainte d’être surpris, et je te promets de me prêter à tout ce qui peut augmenter ton bonheur et le mien. » Richard, après avoir un peu réfléchi, lui répliqua : « Je n’en vois pas de plus sûr, que de faire en sorte qu’on te permette de coucher dans la galerie qui donne sur le jardin, où je tâcherai de grimper, quoique le mur en soit fort élevé. — Si tu es sûr de pouvoir l’escalader, je suis certaine d’obtenir la permission de coucher dans la galerie. Richard s’étant fait fort de franchir le mur, la belle lui dit de ne pas se mettre en peine du reste. Ils se séparèrent ensuite, fort contents l’un de l’autre, non sans s’être furtivement donné mille tendres baisers. »

Le jour suivant, Catherine se plaignit à sa mère, que la grande chaleur l’avait empêchée de dormir, la nuit précédente. On était alors sur la fin du mois de mai. « Tu te moques, je crois, ma fille ; je ne trouve pas qu’il fasse chaud. — Pour moi, je brûle, et vous m’obligerez beaucoup de le dire à mon père : vous ne lui direz que la pure vérité. Considérez, d’ailleurs, que les jeunes gens ont le sang plus chaud que les personnes d’un certain âge. — Cela est vrai, ma fille ; mais il faut prendre le temps comme il est. Peut-être fera-t-il plus frais la nuit suivante, et tu dormiras mieux. — Dieu le veuille ! mais il n’est pas vraisemblable que les nuits se refroidissent à mesure qu’on avance dans l’été. — Que veux-tu que j’y fasse ? — Vous pourriez y remédier. — Et comment ? — En me permettant, si mon père ne le trouve pas mauvais, de faire dresser un lit dans la galerie du jardin. Le lieu est frais et tranquille ; j’aurais le plaisir d’entendre chanter le rossignol, et j’y serais infiniment mieux que dans ma chambre. — J’en parlerai à ton père, et nous ferons ce qu’il jugera à propos. »

La mère en parla effectivement à son mari. Les vieillards sont ordinairement difficiles. « Votre fille, dit Litio, veut donc dormir au chant du rossignol ? Dites-lui que si elle n’est pas contente, je la ferai dormir à celui des cigales. » Catherine, ayant appris la réponse de son père, ne dormit réellement point la nuit suivante ; ce ne fut pas le chaud, mais le dépit qui en fut cause. Elle ne laissa même pas dormir sa mère, qui couchait dans la même pièce, ou tout à côté, tant elle se plaignit souvent de la chaleur. C’est pourquoi madame Jacquemine ne fut pas plutôt levée qu’elle alla trouver son mari. « Il faut, lui dit-elle, que vous aimiez bien peu votre fille, pour sacrifier sa santé à vos caprices. Que vous importe qu’elle couche dans la galerie ou ailleurs ? sachez qu’elle n’a pas fermé l’œil de toute la nuit, à cause du chaud ; elle a été dans une agitation continuelle, et m’a empêché de dormir moi-même. Faut-il s’étonner qu’une fille de son âge se fasse un plaisir d’entendre chanter le rossignol ? n’est-ce pas l’ordinaire des enfants ? — Eh bien, que ce soit fini, répondit Litio d’un ton chagrin ; qu’on lui dresse un lit dans la galerie avec des rideaux de serge ; qu’elle y couche, et qu’elle entende donc chanter le rossignol tout son