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effrayée par l’observation du vieillard, cependant, comme il était fort tard et qu’elle ne savait où se réfugier, elle aima encore mieux, à tout événement, s’exposer à la merci des hommes que de devenir la proie des bêtes féroces. « Dieu nous gardera peut-être de ce malheur, dit-elle au vieillard, et je vous aurai la plus grande des obligations. » Elle descend donc de cheval, entre dans la chaumière, soupe avec ces bonnes gens, se couche avec eux tout habillée, et passe la plus grande partie de la nuit à déplorer son malheur et celui de Pierre, qu’elle n’espérait plus revoir. Vers la pointe du jour, elle entendit force gens qui marchaient en causant. Elle se lève incontinent, gagne une petite cour qui était derrière la chaumière, et se cache en tremblant dans un tas de foin. À peine fut-elle dans ce gîte que ces gens étaient à la porte. Ils firent ouvrir avec grand bruit. Le cheval de la belle qu’ils virent tout sellé, leur fit demander s’il y avait quelqu’un dans la maison. Le vieillard, ne voyant plus la jeune fille, répondit qu’il n’y avait personne, et que ce cheval s’étant égaré, il l’avait mis à couvert, de peur qu’il ne fût mangé durant la nuit par les loups. Le chef de la bande dit alors que puisque ce cheval n’avait point de maître, il serait bon pour eux. La troupe étant entrée dans la maison, les uns courent d’un côté, les autres de l’autre, pour voir s’il n’y avait personne de caché. L’un d’eux enfonça sa javeline dans le foin, et il s’en fallut de peu qu’il ne tuât la fille qui y était cachée. La javeline la toucha de si près de la mamelle gauche, que le fer perça sa robe. La fille, qui crut être blessée, faillit jeter un grand cri ; mais, considérant le lieu où elle se trouvait, elle se contint et n’osa pas même porter sa main à la partie où elle avait été touchée. Ces gens enfin, après avoir bien bu et avoir mangé les chevreuils qu’ils étaient venus faire cuire dans cette chaumière, s’en retournèrent, emmenant avec eux le cheval d’Angeline. Lorsqu’ils furent un peu loin, le vieux bonhomme demanda à sa femme ce que la petite étrangère était devenue. Elle lui répondit qu’elle n’en savait rien ; mais qu’elle allait voir si elle ne la trouverait pas cachée quelque part. Angeline, qui entendit ces mots, comprenant que les brigands devaient être déjà loin, sortit de dessous le foin, et ses hôtes furent agréablement surpris de la revoir saine et sauve. Le bonhomme, touché de son tort, lui dit qu’il la conduirait, si elle voulait, à un château qui n’était qu’à deux lieues et demie de là, où elle serait en lieu de sûreté ; mais qu’il fallait se résoudre à faire ce chemin à pied, parce que les bandits avaient emmené son cheval. La belle accepta la proposition avec joie ; et étant partis sur-le-champ, ils arrivèrent au château vers les sept ou huit heures du matin. Ce château appartenait à un gentilhomme de la maison des Ursins, nommé Lielle de Champ-Fleur. Sa femme, qui était une personne charitable et pleine de piété, y était alors. Elle reconnut Angeline, et la reçut le mieux du monde. Elle voulut savoir par quelle aventure elle se trouvait dans ce canton. Après que la jeune fille lui eut tout raconté, sans déguiser la moindre