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à s’affliger. Il court encore de côté et d’autre, mais il n’est pas plus avancé. Il crie et appelle Angeline de toutes ses forces, mais point de réponse. Alors la joie qu’il avait d’être échappé à la mort et de se trouver en sûreté dans ce bois fort épais se change en une profonde tristesse qui lui fit pousser des sanglots et répandre des pleurs en abondance. Cependant, n’osant plus retourner sur ses pas, il avançait toujours, incertain du lieu où la destinée le conduisait. Les bêtes féroces, dont il savait que la forêt était remplie, se présentaient sans cesse à son imagination et redoublaient ses inquiétudes. Il craignait pour lui-même, mais beaucoup plus pour sa maîtresse, qu’il croyait voir à tout moment dévorée par les ours et par les loups. Enfin, après avoir couru tout le reste du jour, pleurant, gémissant, appelant Angeline, et se trouvant accablé de fatigue et de faim, il s’arrêta aux approches de la nuit, attacha son cheval à un gros arbre, sur lequel il monta pour se mettre à couvert des bêtes sauvages. Le ciel, qui était couvert, s’éclaircit bientôt après, et laissa voir la lune, qui répandait une lumière argentine à travers les feuillages de la forêt. Quand la tristesse et la douleur n’eussent point empêché l’infortuné Boccamasse de dormir, la seule crainte de se laisser tomber eût écarté le sommeil de ses yeux. Il se vit donc contraint de passer toute cette nuit à contempler les astres et à maudire sa malheureuse destinée.

La belle Angeline n’était pas plus heureuse que son amant. Emportée par son cheval, elle se réfugia, comme je l’ai dit, dans le bois, et pénétra si avant qu’il ne lui fut plus possible d’en sortir. Elle avait rôdé tout le jour, comme Pierre, se lamentant, pleurant et appelant son amant, toujours sourd à sa voix. Enfin, ne sachant plus que devenir, elle s’était abandonnée à son cheval qui, ayant trouvé un petit sentier, le suivit à petits pas. Après avoir fait environ une lieue de chemin, elle aperçut une petite chaumière comme le jour commençait à finir. Elle reprit alors la bride du cheval et elle dirigea sa course vers cette habitation. Elle y trouva un vieux homme avec une femme non moins âgée que lui. Ces bonnes gens, surpris de la voir seule à une heure si indue, lui en demandent la raison. Elle leur répondit en pleurant qu’elle avait perdu dans le bois son compagnon de voyage, et les pria de lui apprendre à quelle distance elle était d’Alaigne. « Ma fille, lui répondit le vieillard, ce n’est point ici la route d’Alaigne, et vous en êtes à plus de six lieues. — Faites-moi l’amitié de me dire s’il n’y a point dans le voisinage de maison où je puisse aller loger. — Il n’y en a pas une où vous puissiez arriver avant minuit. — Puisque cela est ainsi, oserai-je vous prier de me donner l’hospitalité pour cette nuit ? — Très-volontiers, ma fille ; mais je vous préviens que nous sommes souvent insultés de jour et de nuit par des bandits qui courent ces bois ; si par malheur ils venaient cette nuit, comme vous êtes jeune et jolie, ils ne manqueraient pas de vous outrager, et je vous avertis que nous ne pourrions vous défendre. » Quoique