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dire au père de la demoiselle de ne point se prêter à la proposition de son fils, s’il ne voulait s’exposer au ressentiment de toute sa famille, qui ne consentirait jamais à une pareille union. Le jeune homme, voyant qu’on refusait de faire son bonheur, fut dans une affliction inconcevable. Il n’y eut point de choses fâcheuses qu’il ne dit à ses parents ; et si le père d’Angeline l’eût voulu, il l’aurait épousée en dépit du sien.

L’amour est de toutes les passions celle qui s’irrite et s’accroît le plus par les obstacles mêmes qu’elle rencontre. Pierre, désespérant de pouvoir fléchir ses parents, et ne pouvant être heureux sans Angeline, qu’on veillait de plus près depuis qu’on savait qu’il en était amoureux, forma le dessein de s’enfuir de Rome avec elle, dans le cas toutefois qu’elle voulût y consentir. Il eut le secret de l’informer de son projet, en lui promettant de l’épouser dès qu’ils se trouveraient en pays libre. La demoiselle approuva son dessein ; ils conviennent du jour et de l’heure de leur départ ; et, lorsqu’ils ont tout disposé, ils montent à cheval et prennent le chemin d’Alaigne, où le jeune homme avait des amis. Quelque passionnés qu’ils fussent l’un pour l’autre, la crainte d’être poursuivis fit qu’ils se contentèrent de se donner de temps en temps quelques baisers, espérant se dédommager amplement quand ils seraient en pleine liberté. Pierre connaissait peu le chemin d’Alaigne ; après avoir fait environ quatre ou cinq lieues, au lieu de prendre à droite, il lui arriva de prendre à gauche, et alla passer devant un petit château, d’où il sortit douze paysans de mauvaise mine qui allaient droit à eux. Angeline fut la première à les apercevoir. « Ah Dieu ! nous sommes perdus, s’écria-t-elle ; voilà des gens qui viennent nous attaquer : sauvons-nous vite, mon cher ami ; » et en disant cela, elle détourne son cheval et gagne une forêt voisine. Son amant, surpris de ne voir personne, veut tourner la tête, et se trouve pris avant d’avoir songé à fuir. Ces hommes le font descendre de cheval et lui demandent qui il est. Il leur dit son nom ; et voyant sur sa réponse qu’il est du parti de leurs ennemis, les Ursins, ces scélérats, complotent entre eux de le dépouiller et de le pendre à un arbre. Ils lui ordonnent donc de se déshabiller ; mais, tandis que ce pauvre jeune homme, trop certain de son malheur, quitte ses habits et recommande son âme à Dieu, vingt cavaliers qui étaient en embuscade, courent à bride abattue sur cette troupe de brigands, en criant : Tue ! tue ! À ce bruit inattendu, les voleurs quittent Boccamasse pour se mettre en défense. Mais, voyant qu’ils étaient en plus petit nombre et craignant de succomber, ils prirent promptement la fuite. Tandis que les autres les poursuivent vigoureusement, Pierre profite de cette heureuse circonstance pour reprendre ses habits ; il remonte à cheval et court au galop par le chemin qu’il avait vu prendre à sa maîtresse, bénissant le ciel d’en avoir été quitte pour la peur. Arrivé dans le bois, il rôde, tantôt d’un côté, tantôt d’un autre ; mais, n’y voyant ni sentier ni trace de cheval, il commence