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puis jetant un profond soupir : « Est-ce bien vous, ma chère amie ? lui dit-il ; hélas ! j’avais ouï dire que vous étiez morte. Que je me félicite de vous retrouver ! » Il se jette ensuite à son cou, et la serre tendrement dans ses bras, en versant des larmes d’attendrissement et de joie. Constance lui raconta ses aventures, sans oublier les bons traitements qu’elle avait reçus de la dame chez qui elle demeurait. Martucio lui conta succinctement les siennes ; après quoi, il courut informer le roi de ce qui venait de lui arriver, et lui demanda la permission d’épouser sa maîtresse à la manière des chrétiens. Le roi, surpris de cette singulière aventure, voulut voir Constance, et, convaincu par elle-même de la fidélité du rapport de son favori, permit à Martucio de l’épouser, en lui disant qu’il l’avait bien méritée. Il combla ces amants de dons magnifiques. Martucio, de son côté, s’épuisa en remercîments et en politesse auprès de la charitable Sarrasine ; et, après lui avoir fait de riches présents, il la fit conduire honorablement à Souse. Les nouveaux mariés retinrent avec eux Chereprise ; et, ayant obtenu depuis la permission de retourner dans leur pays, ils amenèrent cette bonne vieille à Lipari, où ils furent reçus avec une joie d’autant plus grande, qu’on ne comptait plus les revoir. Ces deux époux vécurent longtemps, et passèrent tout le reste de leurs jours dans l’abondance et dans une parfaite tranquillité.


NOUVELLE III

LES DEUX FUGITIFS

Il y eut autrefois dans Rome, ville qui a été longtemps la première du monde, et qui est peut-être aujourd’hui la dernière, à cause de ses débordements, il y eut, dis-je, un jeune homme, nommé Pierre Boccamasse, d’une famille aussi ancienne qu’illustre, qui devint amoureux d’une jeune beauté, dont le père, d’une naissance obscure, mais fort estimé des Romains, s’appelait Giglivosse. Comme ce jeune gentilhomme était d’une jolie figure, et avait des manières aimables, il n’eut pas de peine à rendre Angeline sensible à son amour. La passion dont il était dévoré ne fit qu’augmenter par la tendresse que la belle lui témoignait. Voyant que tout allait au mieux, et qu’il ne pouvait être heureux s’il ne l’épousait, il alla trouver Giglivosse, son père, pour la lui demander en mariage, sans s’inquiéter si le sien consentirait à cette alliance. Bien loin d’y consentir, celui-ci l’accabla de vifs reproches au sujet de cette démarche, et