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partie. Elle porte précipitamment ses regards de tous côtés, et ne connaissant point le pays, elle demande à la vieille où elle était : « Vous êtes près de Souse, en Barbarie. » À cette réponse, Constance, plus affligée que jamais d’être encore du nombre des vivants, surprise de se trouver chez des Barbares, et craignant qu’ils ne voulussent, ou la maltraiter ou porter atteinte à son honneur, se laissa tomber sur le sable, comme pour mieux s’abandonner à sa douleur, et elle versa un torrent de larmes. La bonne femme se mit à la consoler de son mieux ; la compassion la rend éloquente ; elle vient à bout de l’arracher de ce lieu, et de la mener à sa chaumière, où elle lui fit manger un morceau de pain dur et du poisson. Voyant qu’elle n’était plus si chagrine, elle la pria de lui raconter son aventure. Constance, étonnée de ce qu’elle lui parlait toujours italien, ne jugea point à propos de satisfaire sa curiosité sans savoir auparavant à qui elle avait affaire ; elle questionna donc son hôtesse, qui lui apprit qu’elle était au service de plusieurs chrétiens qui faisaient le métier de pêcheurs ; qu’elle avait reçu le jour à Trapani, d’où elle était sortie de très-bonne heure, et qu’elle se nommait Chereprise. Ce nom lui parut d’un bon augure ; elle commença même, dès ce moment, à ne plus désirer la mort, soit que les tendres consolations de la bonne vieille eussent ranimé son courage, soit qu’elle eût quelque secret pressentiment qu’elle pourrait oublier ses chagrins et devenir heureuse. Elle raconta pour lors à cette femme l’étrange résolution qu’elle avait prise, et ce qui l’y avait portée, sans cependant lui dire le nom, ni l’état de ses parents, ni la ville qu’ils habitaient. Elle termina son récit par la prier d’avoir compassion de sa jeunesse, et de lui fournir quelque expédient pour mettre son honneur à l’abri des insultes des hommes. Chereprise, qui était une très-honnête femme, lui dit de ne point s’inquiéter, et lui promit de lui rendre tous les services qui dépendraient d’elle. « Je vous placerai, ajouta-t-elle, dans une maison de la ville prochaine, où votre honneur n’aura pas le moindre danger à courir. » Elle la laisse un moment seule dans sa cabane, et va retirer le reste des filets au soleil. À son retour, elle la couvre du manteau dont elle l’avait trouvée enveloppée dans la barque, et la mène droit à Souse, en lui disant qu’elle la conduit chez une Sarrasine très-respectable. « C’est une dame d’un certain âge, extrêmement charitable, qui a des bontés pour moi, je la prierai de vous prendre avec elle, et je suis assurée d’avance qu’elle s’en fera un plaisir. Je puis vous promettre que si vous cherchez à la contenter et à mériter son affection, elle vous traitera comme sa propre fille, et aura pour vous toute la tendresse et tous les égards que vous pourrez désirer. »

Quand elles furent arrivées dans la ville, Chereprise courut vers sa protectrice, qu’elle aperçut de loin entrant dans une maison voisine de la sienne. Elle parla avec tant de chaleur et d’intérêt, que la dame, touchée des malheurs de cette pauvre petite étrangère, ne put la regarder sans pleurer. Elle la caressa,