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réunirent à ceux qui gardaient la porte, et se rendirent tous en bon ordre au vaisseau, où les deux dames étaient déjà. Ils mirent aussitôt à la voile, aux yeux d’une multitude de gens armés, qui venaient en diligence pour les arrêter. Après quelques jours d’heureuse navigation, ils arrivèrent en Candie, où ils furent bien reçus de leurs parents et de leurs amis. Chimon et Lisimaque épousèrent leurs maîtresses, qu’ils avaient eu soin de consoler durant le voyage, et l’un et l’autre eurent sujet de se féliciter de leur destinée. Cet événement produisit de grands troubles entre les Rhodiens et les Chypriens ; ils se disposaient même à se faire la guerre, lorsque, par la médiation des parents et des amis des deux époux, tout fut apaisé. L’affaire s’arrangea si bien, qu’après quelque temps d’exil, il fut permis à Chimon et à Lisimaque de retourner chacun dans son pays, où ils vécurent en paix et en bonne intelligence avec leurs femmes, aussi bien qu’avec leurs compatriotes.


NOUVELLE II

L’ESCLAVE INGÉNIEUX

Vous n’ignorez pas qu’au nord, et tout auprès de la Sicile, il y a une île qu’on appelle Lipari. Vous saurez donc qu’il y eut autrefois, dans la capitale de cette petite île, une jeune fille nommée Constance, qui joignait à une naissance honnête une figure très-intéressante. Un jeune homme, à peu près de son âge, nommé Martucio Gomito, qui ne manquait ni d’esprit ni de bonne mine, en devint amoureux. La demoiselle, qui lui trouvait des agréments infinis, se fit un devoir de répondre à son amour, et n’était jamais plus contente que lorsqu’elle le voyait ou qu’elle pouvait s’entretenir avec lui. Martucio, encouragé par ce tendre retour, se hasarda de la faire demander en mariage à son père, qui la lui refusa net, parce qu’il le trouvait trop pauvre.

Le jeune homme, piqué du motif du refus, arma, de moitié avec quelques-uns de ses parents et de ses amis, une petite galère, et jura de ne retourner dans sa patrie qu’après avoir fait une brillante fortune. Quand le vaisseau fut prêt, il s’embarqua, dans l’intention d’exercer le métier de corsaire, et fit voile vers les côtes de Barbarie. Il se tint quelque temps sur cette terre, attaquant et pillant tous les vaisseaux qui n’étaient pas en état de lui résister. La fortune lui fut presque toujours favorable. Il amassa beaucoup de biens dans très-peu de temps, plus même qu’il n’en fallait pour figurer avantageusement dans son