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Que vous me connaîtriez mal, monsieur le juge, lui répondit-il, si vous doutiez de ma valeur ; il n’est point de péril que je n’affronte pour servir votre amour, si je dois obtenir la récompense que vous me faites envisager : vous ne sauriez trouver de compagnon plus brave et plus fidèle pour vous seconder. Je suis prêt à vous en convaincre ; ordonnez, que faut-il faire ?

— On m’a assuré, répondit Lisimaque, que les deux noces devaient se faire dans trois jours, dans la maison de Pasimonde. Risquant donc le tout pour le tout, je suis d’avis de nous y rendre pendant la nuit, bien armés, avec tes compagnons et les miens, et d’enlever, du milieu du festin, ta maîtresse et la mienne ; nous les conduirons aussitôt dans un vaisseau qu’on prépare secrètement par mes ordres, et nous immolerons à notre fureur quiconque s’opposera à notre résistance. »

Chimon fut ravi de la proposition de Lisimaque, et s’en retourna fort content dans sa prison, bien résolu de cacher à ses compatriotes, jusqu’au moment de l’exécution, le projet où ils devaient entrer, afin d’être plus sûr que rien ne transpirât.

Le jour des noces venu, la fête fut des plus magnifiques. La joie éclatait de toutes parts dans la maison des nouveaux époux, pendant que Lisimaque disposait toutes choses pour y apporter la tristesse et le deuil. Il met Chimon et ses compagnons en liberté ; il les arme, les réunit aux gens qu’il s’était affidés de son côté, et harangue les uns et les autres pour leur inspirer du courage. Il divise ensuite cette troupe en trois petits corps : il en envoie un au port, afin que personne ne puisse s’opposer à l’embarquement, quand il en sera temps ; il se transporte avec les deux autres à la maison des nouveaux mariés ; il laisse à la porte le second détachement, pour empêcher le monde d’entrer ; et, suivi de Chimon, monte avec le troisième dans la salle des nouvelles mariées, qui étaient à table avec beaucoup d’autres femmes. Ils s’avancent hardiment, renversant tout ce qui s’offre devant eux, et prennent chacun leur maîtresse, qu’ils remettent aussitôt entre les mains de leurs compagnons, avec ordre de les conduire au port. Un coup si hardi jette l’assemblée dans l’étonnement et la frayeur. Les nouvelles mariées poussent des cris affreux, et se démènent vivement dans les bras de ceux qui les emportent : les autres dames, qui n’avaient pu les défendre, se lamentent, se lèvent de table, appellent les hommes à grands cris ; et, en attendant qu’ils viennent à leur secours, elles se mettent en devoir d’arrêter les ravisseurs, en s’opposant à leur passage ; mais Lisimaque et Chimon se font jour avec leur épée à travers la foule, et gagnent facilement l’escalier ; ils y rencontrent Pasimonde qui, armé d’un gros bâton, était accouru au bruit. Chimon lui fend la tête d’un coup de sabre, et le jette mort sur le carreau. Hormisda, qui vole au secours de son frère, est également tué par Chimon. Les attaquants ayant donc tué ou blessé tout ce qui avait voulu leur résister, se