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ralluma sa jalousie, et le mettait en fureur. Il dissimula toutefois sa peine et son ressentiment, pour songer aux moyens d’empêcher ce mariage. Il n’en vit pas de plus court ni de plus sûr que celui d’enlever Cassandre. L’exécution lui en paraissait aisée, mais indigne d’un honnête homme. Cependant, après bien des combats et bien des réflexions, l’amour l’emporta sur l’honneur ; et il se décida à l’enlever, quoi qu’il en dût arriver. Pensant à la manière dont il devait s’y prendre, et aux personnes qui lui étaient nécessaires pour ce coup de main, il se ressouvint de Chimon et de ses compagnons qu’il tenait prisonniers. Il jugea qu’il aurait de la peine à trouver des gens plus propres à seconder ses vues ; il donna ses ordres pour qu’on lui amenât Chimon la nuit suivante ; il le fit entrer dans sa chambre, et voici à peu près le discours qu’il lui tint :

« Les dieux, mon ami, se plaisent à éprouver la vertu des hommes. Ils ne leur prodiguent souvent leurs bienfaits que pour les replonger dans l’adversité ; et s’ils les trouvent aussi fermes et aussi constants dans le malheur qu’ils l’avaient été dans la prospérité, ils se font une justice de leur rendre avec usure leurs premières faveurs. C’est sans doute dans l’intention d’éprouver ton courage qu’ils t’ont fait sortir de la maison de ton père, que je sais être très-riche. Je n’ignore pas non plus qu’ils se sont servis du pouvoir de l’amour pour faire de toi un homme vaillant et éclairé, d’homme stupide et grossier que tu étais. Ils veulent voir à présent si l’adversité et la prison n’ont point altéré ton courage. S’il est tel qu’il s’est d’abord montré lorsque tu as conquis ta maîtresse par les armes, je puis t’assurer qu’ils te réservent la récompense la plus flatteuse que tu puisses désirer. Tu vas en juger par toi-même : sois seulement attentif à ce que je vais te dire.

« Tu sauras d’abord que Pasimonde, ton rival, s’est donné toute sorte de mouvements pour te faire condamner à mort ; aujourd’hui il s’en donne pour hâter le moment de son mariage avec celle que tu aimes, et qui t’a coûté tant de peines et de soins, sans avoir pu la posséder. Je sais combien ce prochain mariage doit t’affliger ; j’en juge par le chagrin que me cause à moi-même celui d’Hormisda, frère de Pasimonde, qui, le même jour, doit épouser une demoiselle qui m’est pour le moins aussi chère qu’Éphigène peut te l’être à toi-même. Aie néanmoins bonne espérance ; il est un moyen de nous venger l’un et l’autre de l’injure qu’on nous fait, et d’empêcher même cette double alliance : il ne s’agit que d’avoir du courage. Vois si tu te sens celui de prendre les armes pour enlever les maîtresses de nos rivaux. Tu ne balanceras point, si Éphigène t’est toujours chère, si tu veux recouvrer ta liberté et celle de tes compagnons, que j’attache à ce prix. Tu verras, par mon courage, que je suis aussi amoureux que toi. Parle, je n’ai plus rien à te dire. »

Lisimaque n’avait point encore fini de parler, que Chimon se crut déjà réconcilié avec la fortune. Il sentit ses espérances renaître et son courage se ranimer. «