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où il fut incontinent environné de monde, et reconnu par l’équipage du vaisseau rhodien, dont une partie avait déjà débarqué, et s’était retirée au village prochain. Elle fut bientôt instruite de l’aventure de Chimon, et elle revint avec une troupe de paysans qui se saisirent d’Éphigène et de son ravisseur, déjà descendu à terre, avec le plus grand nombre de ses gens, dans l’intention de se sauver dans une forêt voisine. Il fut conduit avec sa maîtresse et plusieurs de ses compagnons au village, et de là à Rhodes.

Pasimonde, instruit de tout ce qui s’était passé, porta plainte au sénat de la violence du gentilhomme chyprien, et le sénat ordonna à Lisimaque, qui cette année était le premier magistrat, d’aller, avec ses sergents, prendre Chimon et ses compagnons, pour les mener en prison. C’est ainsi que cet amant infortuné perdit, non-seulement sa maîtresse, de laquelle il n’avait encore eu que quelques petits baisers, mais sa liberté et l’espoir de la recouvrer.

Quant à Éphigène, elle fut mise chez des dames de la connaissance de Pasimonde, qui s’empressèrent de l’accueillir et de la soulager des fatigues qu’elle avait essuyées. Elle devait demeurer auprès d’elles jusqu’au jour fixé pour les noces ; et, en attendant, on se fit un devoir de lui procurer toutes sortes d’agréments.

Pendant ce temps, Pasimonde s’intrigua, sollicita pour faire condamner à mort son rival ; mais les gentilshommes rhodiens, à qui il avait sauvé la vie, et pour lesquels il avait eu de très-bons procédés, sollicitèrent en sa faveur, et on se contenta de le condamner, lui et les siens, à une prison perpétuelle ; punition qui lui fut aussi douloureuse que s’il eût été condamné à perdre la vie, puisqu’elle lui ôtait l’espoir de jamais posséder l’objet de son amour.

Cependant, tandis que Pasimonde faisait tout disposer pour ses noces, la fortune, toujours capricieuse, parut se repentir du mal qu’elle avait fait à Chimon, et suscita un nouvel événement pour amener sa délivrance. Pasimonde avait un frère, nommé Hormisda, plus jeune que lui, mais non moins estimable par son mérite. Ce frère était amoureux d’une très-jolie Rhodienne de qualité, connue sous le nom de Cassandre, et il l’avait demandée plusieurs fois en mariage, sans avoir jamais pu l’épouser, à cause de divers accidents survenus au moment de la conclusion. Il faut observer que le magistrat Lisimaque était également épris des charmes de cette demoiselle ; mais elle lui préférait son rival. Pasimonde, voulant faire, comme on dit vulgairement, d’une pierre deux coups, et éviter les dépenses d’une seconde noce, imagina de conclure, une fois pour toutes, le mariage de son frère, afin qu’il pût épouser la belle Cassandre, le même jour que lui-même épouserait Éphigène. Il en parla aux parents de la demoiselle, et il fut arrêté que ce double mariage se ferait en même temps. Lisimaque ne fut pas plutôt informé de ce nouvel arrangement, qu’il sentit que tout était perdu pour lui, si Cassandre donnait sa main à Hormisda. Cette idée