Page:Boccace - Contes de Boccace, trad De Castres, 1869.djvu/309

Cette page n’a pas encore été corrigée

ne plus lui donner de rendez-vous chez moi ; car si cela t’arrive encore, je t’en ferai repentir de la bonne manière. »

Un commencement si favorable lui donnant sujet d’espérer, elle alla sur-le-champ à la prison où était Roger, et sut si bien amadouer le concierge, qu’elle parvint à lui parler en particulier. Après l’avoir instruit de ce qu’il devait dire pour se tirer d’affaire, sans compromettre sa maîtresse, elle alla chez le prévôt, pour en obtenir une audience particulière. Le prévôt, la trouvant à son gré, voulut en tâter avant de l’entendre. La suppliante, pour mieux réussir dans son dessein, ne fit de résistance qu’autant qu’il en fallait pour attacher plus de prix à sa complaisance. La besogne achevée, elle dit au prévôt que Roger de Jéroli, qui avait été pris et condamné comme un voleur, n’était rien moins que cela. Après lui avoir répété l’histoire qu’elle avait faite au chirurgien, elle ajouta que, l’eau l’ayant si fort endormi, elle l’avait cru mort, et que, pour se tirer d’embarras, elle l’avait porté dans le coffre. Elle lui conta ensuite la conversation du menuisier avec celui qui soutenait que le coffre avait été vendu aux prêteurs sur gages, pour lui faire comprendre que son amant prétendu pouvait bien avoir été transporté dans la maison des usuriers par les usuriers eux-mêmes.

Le prévôt, porté à obliger cette fille, qui venait elle-même de l’obliger, considérant qu’il était aisé d’éclaircir la chose, fit d’abord venir le chirurgien pour savoir s’il avait fait une eau soporifique, et Mazzeo lui confirma la vérité de cette circonstance. Le menuisier, l’homme à qui le coffre appartenait, et les deux prêteurs sur gages, furent également appelés ; et après de longs débats et un sérieux examen, il se trouva que les derniers avaient dérobé la caisse. Roger fut ensuite interrogé, pour savoir l’endroit où il avait couché la nuit dernière. « Je l’ignore, répondit-il ; tout ce que je sais, c’est que j’étais allé chez maître Mazzeo, dans l’intention de coucher avec sa servante, où je me suis endormi après avoir bu d’une certaine eau qu’elle m’a donnée pour me désaltérer, et que le matin, en me réveillant, je me suis trouvé dans un coffre dans la maison où j’ai été pris comme un voleur. »

Le prévôt, trouvant l’aventure fort plaisante, se plut à faire répéter plusieurs fois à chacun son rôle ; renvoya Roger, qu’il reconnut innocent, et condamna les prêteurs sur gages à une amende de dix onces d’argent.

Il ne faut pas demander si Roger, sa maîtresse et la servante, furent satisfaits d’un pareil jugement ; leur joie égala la crainte qu’ils avaient eue. L’amour alla toujours son train, et l’on se divertit longtemps des coups de couteau que la confidente était d’avis qu’on donnât au galant.