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l’avait sans doute en garde chez lui, prétend qu’elle lui a été volée ; l’homme l’accuse de l’avoir vendue à deux prêteurs sur gages, chez lesquels il l’a vue au moment où l’on a arrêté Roger. “Ce sont des fripons, a répliqué le menuisier, s’ils disent qu’ils me l’ont achetée. Ils l’ont enlevée cette nuit devant ma porte, où je l’avais oubliée ; ainsi ils me la payeront, ou ils vous la rendront tout à l’heure.” Sur cela, ils sont allés chez les prêteurs sur gages, et je m’en suis revenue. Je comprends, madame, d’après cette contestation, et vous en jugerez vous-même, que Roger a été transporté, dans la caisse, au lieu où il a été pris ; mais de savoir comment il est ressuscité, c’est ce que j’ignore. »

La dame, comprenant alors très-bien ce qui devait s’être passé, apprit à la confidente ce que son mari lui avait dit, et la pria de faire tout ce qu’elle pourrait pour tâcher de sauver son amant, sans toutefois la compromettre. « Enseignez-m’en les moyens, et je vous promets de faire avec zèle tout ce qui dépendra de moi. » La dame, comme la plus intéressée à la chose, fut la première à trouver un expédient. Elle en fit part à la servante, qui, le trouvant assez de son goût, consentit volontiers à le mettre en pratique. Cette fille, aussi obligeante que rusée, commença donc par aller se jeter aux pieds de Mazzeo ; elle lui demande pardon de la faute qu’elle a commise. Son maître, ne sachant ce qu’elle voulait dire. « De quelle faute veux-tu parler ? lui dit-il. — Vous connaissez Roger de Jéroli ? répondit-elle en pleurant ; eh bien, monsieur, il m’aimait depuis près d’un an, et moitié de gré, moitié de force, il m’avait obligée de l’aimer aussi. Il apprit hier au soir que vous étiez allé à Melfi, et que vous ne coucheriez pas au logis, il fit tant par ses sollicitations et ses promesses, qu’il me força de consentir à le laisser coucher avec moi. Il ne fut pas plutôt dans ma chambre qu’il eut une soif démesurée. Ne sachant avec quoi le désaltérer, et craignant que madame ne se doutât de quelque chose si j’allais querir de l’eau ou du vin dans la salle où elle était, j’allai prendre une petite bouteille pleine d’eau que je me souvins d’avoir vue sur la fenêtre. Je la lui donnai ; et après qu’il l’eut bue, je reportai au même endroit cette fiole, pour laquelle vous avez fait tant de bruit. J’avoue ma faute, monsieur, et vous en demande pardon. Qui est-ce qui n’en commet pas quelquefois ? Je suis très-repentante, très-affligée de la mienne, non-seulement à cause de votre eau, que vous avez raison de regretter, mais à cause de ce qui s’en est suivi, puisque le pauvre Roger est sur le point d’en perdre la vie. Permettez-moi donc, monsieur, d’aller à son secours ; car je suis assurée qu’il n’est point coupable. »

Quoique le chirurgien fût de très-mauvaise humeur contre sa servante, il ne put s’empêcher de la plaisanter sur son aventure. « Te voilà punie, lui répondit-il d’un ton railleur, par l’endroit sensible. Tu croyais avoir cette nuit un galant frais et dispos, et tu n’as eu qu’un dormeur. Je te permets d’aller le délivrer, si tu peux, du danger qui le menace ; je te pardonne ; mais songe à