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où il puisse gagner l’escalier. Les femmes, qui entendent marcher et tâtonner, se mettent à crier d’une voix timide et tremblante : « Qui va là ? » Roger, qui ne reconnaît pas leurs voix, demeure coi et ne répond rien. Alors les femmes d’appeler leurs maris ; mais ils dorment si profondément, qu’ils ne les entendent pas. Ne voyant venir personne à leur secours, leur peur augmente. Enfin elles prennent le parti de sauter du lit, courent aux fenêtres, et crient à pleine tête : « Au voleur ! au voleur ! » Pendant que les voisins accourent à leurs cris et entrent dans la maison les uns par les toits, les autres par la porte, les maris, que ce grand bruit avait éveillés, se saisirent de Roger. Celui-ci, bien surpris de se trouver là, et de ne pouvoir s’évader, se laissa lier les bras sans dire mot. Il fut mis entre les mains des sergents du gouverneur de la ville, qui étaient accourus. En faveur de sa bonne réputation, il fut d’abord appliqué à la question, et croyant en être plutôt quitte, il convint qu’il était entré chez les usuriers pour les voler, sur quoi le gouverneur délibéra de le faire pendre.

Dès le matin, on sut dans tout Salerne que Roger avait été pris chez des prêteurs sur gages, qu’il avait intention de voler. Quand la nouvelle parvint aux oreilles de la dame et de la confidente, elles furent si surprises, qu’elles étaient tentées de croire que ce qui s’était passé la nuit dernière n’était qu’un songe. Cependant la belle, considérant le péril où était son amoureux, se tourmentait tellement, qu’il était à craindre que la tête ne lui tournât. Elle aurait voulu le sauver au péril de sa propre vie ; mais le moyen ?

Le chirurgien, arrivé sur les neuf heures du matin, dans l’intention d’aller opérer son malade, court à la fenêtre où il avait posé son eau, et trouvant la fiole vide, fait un si grand bruit, que personne n’ose se montrer devant lui. Sa femme, qui avait l’esprit occupé de tout autre chose que de son eau, lui dit avec mauvaise humeur qu’une fiole d’eau jetée par inadvertance ne valait pas la peine de faire un si grand fracas, comme si l’eau était très-rare. Le chirurgien lui répondit qu’elle était dans l’erreur d’imaginer que ce fût de l’eau commune ; il lui dit que c’était une eau composée pour faire dormir, et lui apprit à quoi il l’avait destinée. Sa femme, comprenant alors que Roger devait l’avoir bue : « C’est ce que j’ignorais, répliqua-t-elle ; mais le mal n’est pas grand, il vous sera aisé d’en faire d’autre. »

Sur ces entrefaites, la servante, qui était sortie par ordre de sa maîtresse pour apprendre des nouvelles plus positives de l’affaire de Roger, arriva, et rapporta qu’on parlait fort mal de lui, que tous ses amis l’avaient abandonné ; que pas un de ses parents ne voulait faire des démarches pour le sauver, et qu’on ne doutait pas que le prévôt ne le fît pendre le lendemain. « J’ai rencontré, ajouta-t-elle, le menuisier qui était en grande contestation avec un homme que je ne connais pas, au sujet de la caisse où nous avons porté le pauvre Roger, et qui la réclame comme lui appartenant. Le menuisier, qui