si l’on n’eût eu l’art de lui faire continuellement envisager son rappel comme très-prochain.
De retour enfin dans sa patrie, toujours possédé du même amour, impatient de savoir des nouvelles de celle qui en est l’objet, il s’empresse d’en demander, en attendant qu’il puisse la voir. On lui dit qu’elle est mariée. Cette nouvelle fut pour lui un coup de poignard. Il était inconsolable ; mais le mal était sans remède, il fallut prendre patience. Une passion que l’absence n’avait fait qu’augmenter ne se déracine pas aisément : Jérôme était trop dominé par la sienne pour songer seulement à vouloir en guérir. Il ne perdit point l’espérance d’être heureux. Persuadé que sa chère maîtresse conservait toujours pour lui les mêmes sentiments, il s’informa quelle maison elle habitait. Il passa et repassa devant ses fenêtres, mais toutes ses démarches furent inutiles ; soit que la belle ne l’aperçût point, soit qu’elle l’eût entièrement oublié, elle ne lui donna aucun signe de vie. Jérôme ne perdit point courage ; il tenta toute sorte de moyens pour la voir et tâcher de regagner ses bonnes grâces, supposé qu’il les eût perdues. Il résolut de lui parler à quelque prix que ce fût. Il forme donc le projet de s’introduire secrètement dans sa maison. Il en apprend tous les êtres par un voisin de la dame, et après avoir guetté le moment favorable, y entre sans être aperçu, un soir qu’elle et son mari étaient allés veiller chez un de leurs amis. Il se cache dans la chambre à coucher, derrière un lit de camp. Là, le cœur agité par l’amour et la crainte, il attendit qu’ils fussent rentrés et couchés. Aussitôt qu’il comprit que le mari dormait, il alla, sur la pointe des pieds, vers le lit, du côté où la femme s’était couchée. Encouragé par le sommeil du mari qui ronflait, il se hasarda à poser sa main sur la gorge de son ancienne maîtresse, et, se courbant en même temps, lui dit d’une voix extrêmement basse : « Ne dis rien, ma chère amie, si tu ne dors pas ; je suis Jérôme, ton bon ami, qui ne peut vivre sans t’aimer et qui t’aimera jusqu’au tombeau ; ne dis rien, je t’en prie. » La belle, qui ne dormait pas, faillit se trouver mal de frayeur. « À quoi vous exposez-vous ? lui répondit-elle toute tremblante. Au nom de Dieu, au nom de l’attachement que vous dites avoir pour moi, retirez-vous, je vous en conjure ; si mon mari se réveille, vous êtes perdu, et vous serez cause que nous vivrons mal ensemble, ce que nous n’avons pas fait jusqu’ici. Il m’aime, il me rend heureuse : vous êtes trop honnête pour vouloir troubler notre repos. » Qu’on juge de l’impression que dut faire ce discours sur le cœur du jeune homme ! Il en fut extrêmement affligé. Il ne laissa pourtant pas de rappeler à sa maîtresse leur amitié passée, de lui jurer que l’éloignement et l’absence, au lieu de nuire à sa tendresse, n’avaient fait que l’augmenter, et lui déclara que si elle ne consentait à l’aimer comme autrefois, il se tuerait de désespoir. Ni ses prières ni ses menaces ne purent déterminer la dame à lui accorder la moindre faveur. Jérôme était trop amoureux pour lâcher prise ; un