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grand étonnement de tous les assistants. Ainsi finirent en un jour, et presque à la même heure, l’amour et la vie de ces deux amants ; heureux tous deux, s’ils s’aiment dans l’autre monde comme ils s’aimaient dans celui-ci ! mais trois fois plus heureuse la tendre Simone, dont l’innocence triompha, par cette mort, du faux témoignage de Strambe, d’Attio et de Malaisé, gens de la lie du peuple, mais plus méprisables encore par la bassesse de leurs sentiments que par l’obscurité de leur naissance !

Le juge et le reste des spectateurs étaient au comble de l’étonnement. Cependant, après les premiers moments de surprise, le podestat, voyant que cette sauge devait être venimeuse, donna des ordres pour qu’on l’arrachât, afin de prévenir de pareils accidents. À peine en eut-on abattu le pied, qu’on trouva, sous les racines, un crapaud d’une grosseur énorme, et l’on ne douta point qu’il n’eût infecté cette plante de son venin, et que ce ne fût la cause de la mort de ces deux personnes. La vue de cet animal fit tellement frémir les assistants, que personne n’eut le courage de le tuer. Chacun craignait avec raison d’en approcher, de peur du venin qu’il pouvait exhaler. On prit le parti de jeter beaucoup de feu dans le creux où il était, et de le brûler vivant avec la plante qu’il avait empoisonnée.

Il est, je pense, inutile de dire qu’on ne continua pas le procès commencé contre l’infortunée Simone. On l’enterra avec son amant, dans l’église de Saint-Paul, sa paroisse ; et ses propres accusateurs se firent un devoir d’assister à ses funérailles.


NOUVELLE VIII

LA FORCE DU SENTIMENT

S’il faut en croire la tradition, il y eut dans notre ville de Florence un très-riche marchand, nommé Léonard Sighieri, qui n’eut de sa femme qu’un fils, à qui l’on donna le nom de Jérôme. Sa naissance fut suivie de fort près de la mort du père, qui laissa heureusement ses affaires en fort bon état. Les tuteurs de l’enfant régirent son bien avec beaucoup de probité, conjointement avec la veuve. Jérôme, devenu grand, se familiarisa avec les autres enfants du voisinage, et particulièrement avec la fille d’un tailleur. Cette familiarité devint, avec l’âge, un amour aussi tendre que violent. Jérôme n’était content que lorsqu’il était avec cette fille, ou qu’il la voyait, ou qu’il parlait d’elle. Sa mère