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NOUVELLE VII

LE CRAPAUD OU L’INNOCENCE JUSTIFIÉE HORS DE SAISON

Il n’y a pas encore beaucoup de temps qu’il y avait à Florence une jeune fille, nommée Simone, issue de parents pauvres, mais jolie à ravir, et assez bien élevée pour son état. Comme elle était obligée de travailler pour vivre, elle filait de la laine pour différents particuliers. Le soin de songer à gagner sa vie ne la rendait point inaccessible à l’amour. Pasquin, jeune homme d’une condition à peu près égale à la sienne, eut occasion de la connaître, en lui apportant de la laine à filer, pour un fabricant dont il était commis, et la trouvant aussi honnête que jolie, il ne put se défendre d’en devenir amoureux. Il lui fit assidûment la cour, et ne tarda pas à se rendre agréable à ses yeux. S’apercevant qu’il commençait à faire impression sur le cœur de la belle, il redoubla de soins, pressa, sollicita, et acheva de l’enflammer au point qu’elle soupirait après lui presque à chaque fois qu’elle tournait son fuseau. Sous prétexte de veiller à ce que la laine de son bourgeois fût bien filée et le fût avant toute autre, il lui rendait de fréquentes visites. Le temps qu’il passait auprès d’elle lui paraissait toujours trop court. Il l’employait à lui parler de sa tendresse, à lui vanter les plaisirs de l’amour, à l’exhorter, à la solliciter de répondre à sa flamme, et de le rendre le plus heureux des hommes en consentant à l’être elle-même. Le cœur de Simone était de moitié dans tous les discours de son amant ; mais la timidité l’empêchait de céder à ses sollicitations. L’un devenu plus hardi, et l’autre moins honteuse, ils mêlèrent enfin leurs fuseaux, et trouvèrent tant de plaisir dans ce mélange, qu’ils s’exhortèrent mutuellement à le continuer.

Leur amour, au lieu de s’affaiblir par la jouissance, devenait chaque jour plus ardent, ils ne laissaient jamais échapper l’occasion d’en goûter les fruits ; elle se présentait souvent, mais beaucoup moins qu’ils ne désiraient. D’ailleurs, la crainte d’être surpris abrégeait souvent leurs plaisirs. C’est ce qui fit naître à Pasquin le désir de voir sa maîtresse ailleurs que chez elle, afin de pouvoir se livrer tout à son aise à ses transports. Dans cette intention, il lui indiqua un jardin où ils seraient à l’abri de toute espèce d’alarme et de soupçon. Simone accepta avec joie la proposition, et promit de s’y trouver le dimanche suivant, après dîner. Le jour arrivé, elle dit à son père qu’elle allait avec Lagine, une