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de ma faute et de mon malheur ; vous en êtes suffisamment informé : je me borne à vous demander très-humblement pardon de m’être mariée à votre insu. Le pardon que je sollicite à vos genoux n’est pas pour prolonger ma vie ; je mourrai, s’il le faut, de grand cœur, pourvu que je meure avec votre amitié. »

Messire Le Noir, déjà vieux et naturellement bon et sensible, ne put retenir ses larmes ; il la releva, en lui disant d’une voix pleine d’attendrissement : « J’aurais sans doute aimé, ma chère enfant, que tu m’eusses marqué plus de soumission, en prenant un mari de ma main ; mais je ne suis pourtant pas fâché que tu en aies pris un à ton gré. Je ne me plains que de ton peu de confiance dans le plus tendre des pères. Pourquoi m’avoir fait un secret de ton mariage ? Je l’aurais certainement approuvé, puisque ton bonheur en dépendait. Ainsi, comme j’aurais reconnu Gabriel vivant pour mon gendre, je veux qu’on le reconnaisse pour tel après sa mort. » Puis, se tournant vers ses parents et ses amis, il leur dit de se préparer à lui rendre les honneurs de la sépulture.

Les parents du défunt, qu’on avait avertis de l’accident qui était arrivé, se réunirent à ceux de la jeune veuve. On mit le corps au milieu de la cour, toujours étendu dans le drap de soie. On l’exposa dans une plus grande cour, qu’on ouvrit à tout le monde, où il fut visité de presque tous les honnêtes gens de la ville, qui l’honorèrent de leurs regrets et de leurs larmes. Il fut ensuite porté au tombeau sur les épaules de plusieurs nobles citoyens, et avec toutes les cérémonies d’usage aux funérailles des gens de distinction.

Quelque temps après, le podestat, toujours épris des charmes de la belle Andrée, revint à la charge auprès du père. Celui-ci en parla à sa fille, qui n’y voulut jamais consentir. Elle lui demanda la permission de se retirer dans un couvent avec sa femme de chambre. Son père, qui ne voulait point la gêner, lui donna son consentement, et elle pratiqua les devoirs de religion avec plus d’ardeur encore qu’elle n’avait rempli ceux de l’amour.