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apprirent d’une de leurs voisines qui avait souvent aperçu de sa fenêtre cette amante infortunée qu’elle ne cessait de gémir et de pleurer devant un vase qu’elle ne quittait presque point. Ils lui en firent des reproches ; et voyant qu’elle ne laissait pas de continuer, ils trouvèrent moyen de le lui dérober. La pauvre fille, ne le voyant plus, le demanda avec les plus vives instances. On ne crut pourtant pas devoir le lui rendre ; ce qui lui causa tant de douleur, qu’elle tomba dangereusement malade. Elle ne fit que demander son vase durant sa maladie. Ses frères, surpris d’un attachement si singulier, voulurent voir ce qu’il y avait dedans. Ils ôtent la terre, et trouvent une tête de mort. Elle n’était pas encore assez pourrie pour ne pas reconnaître, à ses cheveux crêpés, que c’était celle de Laurent. Il est aisé de se figurer leur étonnement. La peur qu’ils eurent que leur crime ne fût découvert les détermina à enterrer cette tête et à sortir promptement de Messine. Ils se retirèrent secrètement à Naples, et laissèrent leur sœur Isabeau en proie à sa propre douleur. Cette pauvre fille, qui ne cessait de demander son vase, mourut bientôt après. Le genre de sa mort, la disparition de ses frères, et quelques propos lâchés par la femme qui l’avait accompagnée dans l’endroit où Laurent avait été enterré, rendirent la chose presque publique, et l’on fit sur cette aventure une romance qu’on chante encore aujourd’hui ; c’est celle qui commence ainsi :

Quel est le mortel inhumain

Qui m’a volé sur ma fenêtre

Le basilic salernitain ? etc.


NOUVELLE VI

LES DEUX SONGES

Il y eut autrefois dans la ville de Brescia un gentilhomme connu sous le nom de messire Le Noir, de Ponte-Carraro, qui, entre autres enfants, avait une fille, nommée Andrée, que la nature et l’art avaient pris plaisir à orner de leurs dons les plus précieux. Elle était dans l’âge de se marier, quand elle devint amoureuse d’un de ses voisins, nommé Gabriel, de naissance obscure, mais doué de toutes les qualités qui font l’honnête homme et l’homme aimable. La jeune demoiselle trouva moyen de lui faire savoir l’inclination qu’elle avait pour lui ; elle se servit pour cet effet du ministère d’une femme de chambre qui lui était fort affidée. Cette fille lui ménagea plusieurs rendez-vous dans le jardin de