Page:Boccace - Contes de Boccace, trad De Castres, 1869.djvu/282

Cette page n’a pas encore été corrigée

alors avec douleur son songe réalisé. Ce triste spectacle renouvela ses gémissements et ses larmes ; mais jugeant que ce n’était pas là un lieu à s’abandonner au chagrin, elle suspendit ses sanglots pour songer à ce qu’elle devait faire du corps de son amant. Elle l’eût enlevé, si elle l’eût pu, pour le faire enterrer honorablement. Dans l’impossibilité d’exécuter ce projet, elle lui coupa la tête avec son couteau, l’enveloppa d’un mouchoir, la mit dans le tablier de sa domestique, et s’en retourna au logis, après avoir recouvert de terre le reste du corps. Arrivée dans sa chambre avec cette tête, elle la baisa mille fois et l’arrosa de ses larmes. Ne sachant comment la soustraire aux regards de ses frères, elle s’avisa de la mettre dans un de ces grands vases où l’on plante de la marjolaine ou d’autres fleurs. Elle commença par l’envelopper d’un beau mouchoir de soie, la couvrit ensuite de terre, et planta dessus un très-beau basilic salernitain, dans l’intention de ne l’arroser jamais que d’eau de rose, ou d’eau de fleurs d’oranger, ou de ses larmes. Elle ne se lassait point de regarder ce pot chéri qui renfermait les restes précieux de son cher Laurent. Elle pleurait quelquefois si abondamment, que le basilic, sur lequel elle se penchait, en était inondé. Les soins continuels qu’elle en prenait, joints à la graisse que la terre recevait de cette tête, le firent croître à vue d’œil, et le rendirent plus beau et plus odoriférant. Isabeau au contraire dépérissait tous les jours. Ses yeux étaient enfoncés, son visage maigre et décharné ; en un mot, sa figure devint aussi hideuse qu’elle avait été agréable. Ses frères, surpris d’un si grand changement,