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passé afin d’obtenir la vengeance qu’il était en droit d’attendre. Le roi Guillaume, irrité de la conduite de son petit-fils et ne pouvant refuser la justice qu’on lui demandait, fit arrêter Gerbin, et le condamna lui-même à avoir la tête tranchée, ce qui fut exécuté, malgré les prières et les sollicitations de tous les barons, qui cherchaient à le fléchir, aimant mieux n’avoir point d’héritier que de passer pour un prince injuste et sans foi.

Telle fut la fin tragique de ces deux amants fidèles, qui se suivirent de près dans le tombeau, avant d’avoir pu goûter les fruits de leur amour.


NOUVELLE V

LE BASILIC SALERNITAIN

Il y avait autrefois à Messine trois frères, marchands, qui demeurèrent très-riches après la mort de leur père, né à San-Geminiano. Ils avaient une sœur, jeune, belle et bien faite, nommée Isabeau, qu’ils n’avaient pas encore mariée, quoiqu’ils en eussent souvent trouvé l’occasion. Ils avaient aussi pour garçon de boutique un jeune homme de Pise, nommé Laurent, sur qui roulaient presque toutes les affaires de leur négoce. Ce commis était d’une figure agréable et d’un caractère plein de douceur. La charmante Isabeau en devint amoureuse. Laurent s’en aperçut, en fut très-flatté, et renonça, pour sa nouvelle conquête, à ses autres maîtresses. Comme ils étaient à portée de se voir et de se parler fort souvent, ils ne furent pas longtemps à se donner des preuves de tendresse. Le commencement de leur intrigue fut accompagné de tout le succès et de tout le secret qu’ils pouvaient désirer ; mais enfin le malheur voulut que l’aîné des trois frères rencontrât Isabeau une nuit qu’elle allait trouver son cher Laurent dans sa chambre. Le jeune homme, quoique irrité de la conduite de sa sœur, dont il n’avait point été aperçu, sut se contenir et attendit jusqu’au lendemain pour faire part de sa découverte à ses frères. Après s’être bien consultés, ils résolurent de supporter secrètement un affront dont ils ne pouvaient interrompre le cours sans se venger, et dont ils ne pouvaient tirer vengeance sans déshonorer leur sœur ni se couvrir eux-mêmes de honte ; ils espéraient que le moment de pouvoir remédier à ce désordre sans se compromettre ne tarderait pas à se présenter. Ils feignirent donc de tout ignorer et se conduisirent avec Laurent comme à l’ordinaire, afin qu’il ne comprît point qu’ils s’étaient aperçus de son intrigue.