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que par des cris de joie. Aussitôt trompettes de sonner, et chacun de se préparer au combat. Les Messinois s’avancent vers le vaisseau à force de rames. Les Barbaresques, qui se doutent de leur projet et qui ne peuvent fuir, courent soudain aux armes et se mettent en défense. Gerbin, se voyant à une portée de flèche du vaisseau, détacha une chaloupe vers l’équipage, pour lui proposer de se rendre s’il voulait éviter le combat. Les chefs répondirent aux députés qu’ils étaient d’autant plus étonnés de la proposition, qu’elle était directement contraire à la foi que le roi de Sicile leur avait donnée, et ils montrèrent, en témoignage de cette foi, le sauf-conduit et le gant du roi, ajoutant qu’ils ne se rendraient que par la force des armes. Pendant cette espèce de négociation, la princesse avait paru sur la poupe. Gerbin la trouva plus belle encore qu’il ne se l’était figurée. C’est pourquoi, plus enflammé que jamais, il se moqua des représentations des Sarrasins, et leur fit dire, pour la dernière fois, que s’ils ne consentaient du moins à lui livrer la future épouse du roi de Grenade, ils devaient se résoudre à combattre. Ils prirent ce dernier parti, et commencèrent à faire voler les flèches et les pierres. Le combat fut sanglant, et la perte grande des deux côtés. Le prince sicilien, désespéré de voir la victoire demeurer incertaine, ranime le courage de ses soldats, met du feu dans un petit navire, qu’il avait amené de Sardaigne, et ordonne aux rameurs de s’avancer tout près du vaisseau. Les Sarrasins, qui se voient contraints ou de périr ou de se rendre, ne consultent plus que leur désespoir ; ils amènent de force, sur le tillac, la princesse, qui s’était réfugiée au fond du vaisseau, pour cacher ses alarmes ; puis, la faisant voir à Gerbin, ils l’égorgent impitoyablement à ses yeux, et la jettent aussitôt dans la mer, en lui criant : « Tiens, la voilà, puisque tu la veux ; mais nous te la donnons comme tu l’as méritée. » À la vue d’une pareille férocité, Gerbin, aimant autant mourir que vivre et n’écoutant plus que son désespoir, crie aux rameurs de s’avancer ; il s’accroche au vaisseau, y monte, et malgré la résistance des Sarrasins, tel qu’un lion affamé, qui, s’élançant au milieu d’un troupeau, assouvit sa rage plutôt qu’il ne rassasie sa faim, il abat à coups de sabre tout ce qui se présente devant lui, et le sang ruisselle de toutes parts. Son exemple est bientôt suivi par tous ses soldats, qui achèvent de tout exterminer. Pour récompenser leur courage, il fait enlever ce qu’il y a de plus précieux dans le vaisseau ; il y met ensuite le feu, et il redescend dans la galère, peu touché de la victoire qu’il venait de remporter. Il fait tirer de la mer le corps de sa maîtresse, qu’il arrosa de ses larmes. De retour en Sicile, il la fit enterrer avec pompe dans la petite île d’Ustica, située presque vis-à-vis de celle de Drapani ; puis il retourna à Palerme, plein de tristesse et de douleur.

Le roi de Tunis ne tarda pas à être informé de tout ce qui s’était passé. Il envoya incontinent au roi de Sicile des ambassadeurs vêtus de deuil, pour se plaindre d’une violation de foi si insigne, et l’instruire de tout ce qui s’était