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et pour preuve de sa bonne foi, envoya un de ses grands au roi de Tunis. Celui-ci, muni de ce gage d’amitié, ne songea plus qu’aux préparatifs du départ de sa fille. Il fit équiper, au port de Carthage, un beau et grand vaisseau qu’on chargea de munitions de guerre, en cas d’accident.

Pendant qu’on disposait toutes choses pour son voyage, la princesse, qui ne pouvait se résoudre à renoncer à son amant, lui envoya secrètement un de ses confidents, avec ordre de lui retracer vivement son chagrin, de lui dire qu’elle devait partir incessamment pour Grenade, et qu’elle s’attendait qu’il profiterait de cette occasion pour lui faire connaître s’il était aussi brave qu’on l’assurait, et s’il l’aimait autant qu’il le lui avait fait entendre dans ses missives.

Gerbin ne demandait pas mieux que d’enlever sa maîtresse. Tel avait été d’abord son projet ; mais le sauf-conduit que son grand-père avait donné s’opposait à cette entreprise. Il ne savait à quoi se résoudre. L’amour, plus fort que toute autre considération, joint à la crainte de paraître lâche aux yeux de la personne qu’il aimait le plus, le détermina à suivre son premier dessein. Il part pour Messine, fait armer promptement deux galères, et s’embarque, suivi d’une troupe de soldats d’un courage éprouvé. Il prend sa route vers la Sardaigne, persuadé que le vaisseau de la princesse passera de ce côté. En effet, à peine fut-il arrivé sur les côtes de cette île, qu’il le vit venir, à l’aide d’un petit vent, vers l’endroit où il s’était posté pour l’attendre. « Mes amis, dit-il aussitôt à ses compagnons, comme je vous connais sensibles, je suis sûr qu’il n’est aucun d’entre vous qui n’ait éprouvé ou qui n’éprouve peut-être encore l’empire de l’amour, de cette passion énergique qui a fait entreprendre et exécuter tant de grandes choses ; si donc vous avez été amoureux, ou si vous l’êtes encore, il ne vous sera pas difficile de comprendre ce que je désire et ce que j’attends de vous. Mon cœur, au moment où je vous parle, est enflammé de l’amour le plus tendre et le plus violent ; je vous avoue même que c’est uniquement cette brûlante passion qui m’a porté à vous conduire ici : celle qui en est l’objet est la vertu et la beauté mêmes. Vous la verrez, mes amis, cette belle princesse que j’idolâtre : elle est dans le vaisseau qui paraît devant vous. Ce vaisseau est chargé de richesses ; nous pouvons les acquérir à peu de frais en l’attaquant : vous vous les partagerez, je vous les abandonne en entier, je ne désire pour ma part que la fille du roi de Tunis, que son père veut immoler à son ambition. Sauvons cette auguste victime ; sachez qu’elle n’est pas insensible à l’amour que j’ai pour elle. Allons l’arracher des mains de ses persécuteurs ; vous ferez son bonheur et le mien. Attaquons courageusement ces barbares ; ils sont en petit nombre. Le ciel favorise déjà notre entreprise, puisqu’ils ne peuvent même nous éviter, faute de vent. »

Gerbin eût pu se dispenser de parler si longtemps. Les Messinois, naturellement avides de rapine, ne demandaient pas mieux. Ils ne lui répondent donc