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pour lui cacher la vérité ; mais ce discours ne le persuada point ; il augmenta au contraire ses soupçons, au point qu’il eut recours aux emportements pour la contraindre à lui dire ce qui s’était passé. Cette fille, intimidée par ses menaces, eut la faiblesse de lui déclarer ce que son amitié pour sa sœur lui avait fait faire. Cet aveu fut un coup de poignard pour son amant, qui, n’écoutant plus que les mouvements de sa colère et de sa fureur, tire aussitôt son épée et la plonge impitoyablement dans le sein de cette infortunée, qui s’était mise à genoux pour lui demander pardon. Il n’eut pas plutôt fait le coup, que, craignant le ressentiment du duc, il alla trouver Ninette. Il lui dit d’un front tranquille et serein qu’il venait la prendre pour la dérober à la cruauté du duc, qui, sachant qu’elle n’était point partie, avait donné ordre de la lui amener. Ninette, qui n’avait que trop de raisons de craindre, ne balança point à le suivre ; et sans songer à prendre congé de ses sœurs, ils se mirent en chemin au commencement de la nuit, après avoir emporté tout l’argent qu’ils trouvèrent sous leur main. Ils gagnèrent le port le plus proche, et s’embarquèrent, sans qu’on ait jamais su ce qu’ils étaient devenus.

Le duc, averti que Madeleine avait été tuée, fit arrêter Huguet et son amante. Ils eurent beau protester de leur innocence, et s’excuser sur la fuite de Foulques et de Ninette, ils furent mis tous deux à la question. La violence des tourments les contraignit de s’avouer complices de la mort de Madeleine ; et comme il n’y avait que la mort à attendre, après un tel aveu, quelque forcé qu’il eût été, ils trouvèrent moyen de corrompre leur concierge, en lui promettant une somme d’argent qu’ils iraient prendre, quand ils seraient libres, dans le lieu où ils l’avaient cachée pour les cas de nécessité. Ils s’embarquèrent avec lui pendant la nuit, et s’enfuirent à Rhodes, où ils éprouvèrent bientôt toutes les horreurs de la misère qui les accompagna jusqu’au tombeau.