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la corruption des hommes qui violent les commandements de Dieu et ne craignent point ses jugements ! Oui, je le déclare à ma honte, il m’est arrivé de dire plusieurs fois le jour, au dedans de moi-même : Ne vaudrait-il pas mieux être mort, que d’avoir la douleur de voir les jeunes gens courir les vanités du siècle, fréquenter les lieux de débauche, s’éloigner des églises, jurer, se parjurer, marcher, en un mot, dans les voies de perdition, plutôt que dans celles de Dieu !

— C’est là une sainte colère, dit alors le confesseur ; mais n’en avez-vous jamais éprouvé qui vous ait porté à commettre quelque homicide, ou du moins à dire des injures à quelqu’un, ou à lui faire d’autres injustices ? — Comment, mon père, vous qui me paraissez un homme de Dieu, comment pouvez-vous parler ainsi ? Si j’avais eu seulement la pensée de faire l’une de ces choses, croyez-vous qu’il m’eût si longtemps laissé sur la terre ? C’est à des voleurs et à des scélérats qu’il appartient de faire de telles actions, et je n’ai jamais rencontré aucun de ces malheureux, que je n’aie prié Dieu pour sa conversion.

— Que ce Dieu vous bénisse ! reprit alors le confesseur. Mais, dites-moi, mon cher fils, ne vous serait-il pas arrivé de porter faux témoignage contre quelqu’un ? N’avez-vous pas médit de votre prochain ? — Oui certes, mon révérend père, j’ai dit du mal d’autrui. J’avais jadis un voisin, qui, toutes les fois qu’il avait trop bu, ne faisait que maltraiter sa femme sans sujet. Touché de pitié pour cette pauvre créature, je crus devoir instruire ses parents de la brutalité de son mari.

— Au reste, continua le confesseur, vous m’avez dit que vous aviez été marchand. N’avez-vous jamais trompé quelqu’un, comme le pratiquent assez souvent les gens de cet état ? — J’en ai trompé un seul, mon père ; car je me souviens qu’un homme m’apporta, un jour, l’argent d’un drap que je lui avais vendu à crédit, et qu’ayant mis cet argent, sans le compter, dans une bourse, je m’aperçus, un mois après, qu’il m’avait donné quatre deniers de plus qu’il ne fallait. N’ayant pu revoir cet homme, j’en fis l’aumône à son intention, après les avoir toutefois gardés plus d’un an. — C’est une misère, mon cher enfant, et vous fîtes très-bien d’en disposer de cette façon. »

Le père cordelier fit plusieurs autres questions à son pénitent. Celui-ci répondit à toutes à peu près sur le même ton qu’il avait répondu aux précédentes. Le confesseur se disposait à lui donner l’absolution, lorsque maître Chappellet lui dit qu’il avait encore un péché à lui déclarer. « Quel est ce péché, mon cher fils ? — Il me souvient, répond le pénitent, d’avoir fait nettoyer la maison par mon domestique, un saint jour de dimanche ou de fête. — Que cela ne vous inquiète pas, répliqua le ministre du Seigneur : c’est peu de chose. — Peu de chose, mon père ! ne parlez pas de la sorte : le dimanche mérite plus de respect, puisque c’est le jour de la résurrection du Sauveur du monde.

— N’avez-vous plus rien à me dire, mon enfant ? — Un jour, par distraction, je crachai dans la maison du Seigneur. » À cette réponse, le bon religieux se mit