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quatorze. Leur mère n’attendait, pour les marier, que le retour de son mari, qui était en Espagne pour les affaires de son commerce. L’une des aînées se nommait Ninette, l’autre Madeleine, et la troisième Bertelle.

Un jeune gentilhomme, peu favorisé des biens de la fortune, nommé Restaignon, était amoureux passionné de Ninette, qui ne l’aimait pas moins tendrement. Comme il était fort aimable et fort insinuant, il sut obtenir ses faveurs. Au lieu d’affaiblir son amour, elles ne firent que l’augmenter et le rendre plus violent. Pendant qu’il jouissait de son bonheur, deux jeunes cavaliers, qui étaient frères et orphelins, et à qui leurs parents avaient laissé de grands biens, devinrent amoureux, l’un de Madeleine, l’autre de Bertelle. Le premier portait le nom de Foulques, et le plus jeune le nom d’Huguet. L’amant de Ninette n’en fut pas plutôt informé qu’il forma le projet de sortir, par leurs secours, de son état de pauvreté. Dans cette idée, il fait connaissance avec eux ; il s’empresse à leur procurer les moyens de voir leurs maîtresses, les accompagne aux rendez-vous qu’ils obtiennent par l’entremise de la sienne ; en un mot, il laisse rarement échapper l’occasion de leur montrer son zèle pour les obliger. Quand il crut avoir gagné leur amitié, il les invita un jour à déjeuner chez lui ; et après avoir parlé de différentes choses : « Mes amis, leur dit-il, je me flatte que vous me rendez assez de justice pour penser que je suis très-aise d’avoir fait votre connaissance et de m’être lié avec vous. Je ferai tout ce qui dépendra de moi pour vous en donner les preuves les moins équivoques. Je ne doute pas non plus de la sincérité de votre attachement pour moi, et c’est ce qui m’engage aujourd’hui à vous faire une proposition qui, si vous l’acceptez, peut nous rendre tous trois heureux. Vous savez que je suis pour le moins tout aussi amoureux de Ninette que vous pouvez l’être vous-mêmes de ses sœurs ; vous savez combien nous avons de difficulté les uns et les autres pour les voir : eh bien, je m’engage à lever tous les obstacles qui s’opposent à notre félicité, si vous consentez à ce que je vais vous proposer. Vous êtes riches, et moi je ne le suis pas. Si vous voulez donc me faire part de vos biens, et convenir d’un lieu où nous puissions nous retirer et vivre en commun comme de bons amis, je me fais fort de déterminer les trois sœurs à nous suivre, si toutefois vous consentez à prendre ce parti. Quels amants, quels hommes seront plus heureux que nous ? Voyez maintenant ce que vous avez à faire. Les deux frères, qui étaient amoureux à la folie, voyant qu’ils pourraient jouir de leurs maîtresses en toute liberté, ne balancèrent pas un instant à accepter la proposition. C’est à vous à choisir le lieu, lui dirent-ils ; nous sommes prêts à aller nous établir où bon vous semblera, pourvu que nous soyons avec nos maîtresses.

Restaignon fut enchanté, comme on peut le croire, de cette réponse. Quelques jours après, il trouva moyen d’avoir un tête-à-tête avec sa chère Ninette. Il lui fit part du complot qu’il avait fait avec Foulques et Huguet, et la pria