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dans son esprit. Ils formèrent aussitôt la résolution de savoir comment cet ange était fait.

Frère Albert, informé du bruit qui courait sur le compte de madame Lisette, l’alla voir une nuit pour lui faire de vifs reproches sur son indiscrétion ; mais comme les beaux-frères, qui toutes les nuits faisaient sentinelle, l’avaient vu entrer et l’avaient suivi de fort près, à peine fut-il déshabillé, qu’il entendit du monde à la porte de la chambre. Il se douta d’abord de ce que c’était, surtout lorsqu’il entendit pousser vivement la porte, qu’il avait fermée au verrou. Il n’avait d’autre parti à prendre pour s’évader que de se jeter bien vite par la fenêtre, qui donnait sur le grand canal. C’est ce qu’il fit ; et comme il y avait beaucoup d’eau, il ne se blessa point en tombant ; il fut seulement étourdi, mais pas assez pour ne pas gagner à la nage l’autre bord. Il se réfugia promptement dans la maison d’un matelot qu’il trouva ouverte, et pria cet homme de vouloir bien lui sauver la vie. Il donne un tel tour à son aventure, qu’il sait l’attendrir sur son sort, et s’excuser de ce qu’il est tout nu. Le matelot le fait mettre dans son lit, et promet de lui rendre tous les services qui dépendront de lui. Quand le jour fut venu, il lui fit des excuses de ce qu’il était obligé de le quitter pour une affaire qui demandait tout au plus une heure de temps, et le pria de se tenir tranquille jusqu’à son retour.

Quand les deux beaux-frères furent entrés dans la chambre de la dame, ils trouvèrent que l’ange s’était envolé. Ils dirent mille sottises à leur belle-sœur, la menacèrent de la faire enfermer, et se retirèrent avec les habits du moine angélique.

Cependant, l’aventure s’étant répandue de grand matin, le bon matelot entendit dire, à la place de Realte, que l’ange Gabriel avait couché la nuit précédente avec madame Lisette ; qu’ayant été trouvé chez elle par ses parents, il s’était jeté dans le grand canal, de peur d’être pris, et qu’on ne savait ce qu’il était devenu. À cette nouvelle, il imagina d’abord que cet ange pourrait bien être l’homme qu’il avait dans sa maison. Il rentre, le questionne, le reconnaît et le menace de le livrer aux beaux-frères de la dame s’il ne lui donne cinquante ducats. Le cordelier écrit un billet que le matelot fait parvenir à son adresse par un commissionnaire, qui rapporte l’argent : il pense en être quitte pour cette somme ; mais son hôte, justement indigné de son hypocrisie, ne le croit point assez puni. « Père Angélique, lui dit-il, vous n’avez qu’un moyen pour sortir d’ici et échapper aux parents irrités de madame Lisette. Le voici. Nous faisons aujourd’hui une fête à la place Saint-Marc, où chacun peut mener un homme déguisé en ours ou en sauvage. Si vous voulez vous travestir de l’une de ces manières, je vous y conduirai ; et quand la cérémonie, qui doit représenter une chasse, sera finie, je vous promets de vous conduire en lieu de sûreté, et de vous donner les habits que vous me demanderez ; par ce moyen,