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sous votre teton gauche, vous y trouverez une marque qui ne s’effacera pas de longtemps. — Je me déshabillerai pour voir si ce que vous dites est vrai. » Après un assez long entretien de cette nature, Lisette s’en retourna chez elle, où elle attendit avec impatience une seconde visite de l’ange. Elle la reçut, puis une troisième, qui fut suivie encore de beaucoup d’autres, qui vraisemblablement l’auraient été d’un plus grand nombre, si son imbécillité n’en avait arrêté le cours.

Elle était un jour avec une de ses amies. La conversation étant tombée sur la beauté des femmes, la folle ne manqua pas de mettre la sienne au-dessus de celle de toutes les autres. « Si vous saviez, ma chère, à qui j’ai le bonheur de plaire, vous ne balanceriez pas de donner la préférence à ma beauté sur celle des femmes que vous venez de me citer. » L’amie, qui connaissait sa naïveté, et qui était bien aise de savoir ce qu’elle voulait dire, lui répondit que cela pouvait être vrai : « J’en suis même persuadée ; mais toute autre que moi n’en croirait rien, à moins de savoir à qui vous plaisez. Qui que ce soit, je suis sûre que c’est à quelqu’un de bon goût. — Je ne devrais sans doute pas le nommer, reprit alors notre étourdie ; mais comme je n’ai rien de réservé pour vous, je vous dirai que c’est l’ange Gabriel. Il m’aime comme lui-même, et me trouve la plus belle femme du monde, ou du moins de ce pays-ci, à ce qu’il m’a dit. » L’amie de Lisette faillit partir d’un éclat de rire ; mais elle se retint, dans l’intention de la faire causer davantage. « Si l’ange Gabriel, lui répondit-elle d’un air sérieux, vous a dit cela, il n’y a plus moyen de douter qu’il ne soit votre amant ; mais je vous avoue que je n’aurais jamais cru que les anges fissent leur cour aux dames. — Sortez de votre erreur, reprit Lisette, ils leur font si bien leur cour, que les hommes ne sont rien en comparaison de ces messieurs. Le beau Gabriel m’a prouvé, toutes les fois qu’il est venu coucher avec moi, que mon mari n’est qu’un blanc-bec auprès de lui. Au reste, il m’a assuré qu’on fait l’amour en paradis comme ici-bas, et qu’il n’est amoureux de moi que parce qu’il n’a pas trouvé au ciel de femme dont la beauté lui ait plu autant que la mienne. L’entendez-vous maintenant ? Cela est-il clair ? »

L’amie avait une impatience extrême d’être en lieu où elle pût rire à gorge déployée de la bêtise de Lisette. Elle la quitta plus tôt qu’elle n’aurait fait sans cette intention, et s’en donna tout son soûl quand elle fut seule. Elle se trouva le soir même à une noce avec une grande compagnie de femmes ; elle leur raconta, pour les divertir, l’amour angélique de la folle Lisette, dont elle fit le détail d’un bout à l’autre. Ces femmes n’eurent rien de plus chaud que d’en régaler leurs maris ; ceux-ci en parlèrent à d’autres femmes : de sorte qu’en moins de deux jours presque tout Venise fut instruit de l’anecdote. Elle parvint aux oreilles des beaux-frères de madame Lisette, qui, connaissant sa grande simplicité, ne doutèrent pas que quelque galant ne se fît passer pour un ange