Page:Boccace - Contes de Boccace, trad De Castres, 1869.djvu/264

Cette page n’a pas encore été corrigée

vous donner cette consolation, pour vous dédommager des coups de bâton que je vous ai attirés. — Vous donnerez donc vos ordres, madame, s’il vous plaît, pour que cette nuit l’ange trouve la porte de votre maison ouverte, parce que, venant vous voir avec un corps, il ne peut entrer que par la porte, comme font les hommes. » Lisette l’ayant promis, le cordelier se retira et la laissa si pleine de joie et d’impatience de voir son ange, qu’elle ne pesait pas une once, et que chaque moment lui paraissait un siècle.

Frère Albert se prépara d’avance au personnage qu’il devait faire la nuit suivante. Comme ce n’était pas le rôle d’un ange qu’il devait jouer, il commença par prendre plusieurs restaurants pour se fortifier et se mettre en état de faire des prodiges de valeur. Sitôt que la nuit fut venue, il sortit accompagné du moine qui lui était affidé, et s’en alla dans la maison d’une appareilleuse de sa connaissance, où il avait autrefois accoutumé de prendre ses ébats, lorsqu’il trouvait quelque jeune femme de bonne volonté. Après s’être muni d’une longue robe blanche, il se rendit, lorsqu’il crut qu’il en était temps, chez la belle Lisette. Il ouvre la porte, qui n’était fermée qu’au loquet, met l’habit blanc qu’il avait apporté, et monte dans la chambre de la dame, qui, ravie de la blancheur éclatante de l’ange prétendu, se met à genoux devant lui. L’ange lui donne sa bénédiction, la relève, et lui fait signe de se mettre au lit. Elle obéit incontinent, et monsieur l’ange de la suivre. Frère Albert était assez bel homme et d’une constitution vigoureuse ; ainsi, se trouvant dans les mêmes draps que Lisette, qui était fraîche et délicate, il ne tarda pas à lui faire connaître que les anges de son espèce étaient plus habiles que son mari. Elle était dans le ravissement, et bénissait le ciel de lui avoir donné une beauté assez brillante pour qu’un ange en devînt amoureux. La scène fut remplie tout autant de temps qu’il en fallait pour contenter la belle sans la fatiguer. Les intermèdes furent employés à s’entretenir de la gloire céleste. À la pointe du jour, le cordelier, jugeant qu’il était temps de se retirer, prit des mesures pour son retour, et alla rejoindre son compagnon, que la charitable vieille avait fait coucher avec elle pour l’empêcher de s’ennuyer.

Madame Lisette n’eut pas plutôt dîné qu’elle alla trouver frère Albert pour lui apprendre qu’elle avait reçu la visite de l’ange Gabriel, et lui conter ce qu’il lui avait dit de la gloire céleste, mêlant dans son récit mille fables de sa façon. « J’ignore, madame, lui dit le moine, comment vous vous êtes trouvée de sa visite ; mais je sais bien qu’après m’être apparu la nuit dernière pour apprendre le succès de mon ambassade, il a tout à coup fait passer mon âme dans un lieu de délices dont les hommes n’ont aucune idée, et où j’ai demeuré jusqu’à la pointe du jour. Pour mon corps, j’ignore ce qu’il est devenu pendant tout ce temps qui m’a paru très-court. — Votre corps, répond madame Lisette, a été toute la nuit dans mes bras avec l’ange Gabriel. Si vous en doutez, regardez