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battu ; il me répondit qu’il était l’ange Gabriel, et qu’il m’avait châtié parce que j’avais osé censurer la beauté céleste de madame Lisette, qu’il aimait, après Dieu, par-dessus toutes choses. Je lui demandai pardon, comme vous jugez bien. “Je te pardonne, me répondit-il, à condition que tu iras trouver cette dame pour lui faire tes excuses. Arrange-toi comme tu pourras, ajouta-t-il ; mais sois assuré que si elle ne veut point te pardonner, je reviendrai, et je te donnerai tant de coups, que tu t’en ressentiras le reste de ta vie.” Pardonnez-moi donc, madame, je vous rendrai compte ensuite de ce que l’ange me dit de plus. »

La petite imbécile était au comble de la joie d’entendre des choses qui flattaient si fort sa folle vanité, et qu’elle n’avait garde de révoquer en doute. « Je vous le disais bien, père Albert, lui répondit-elle d’un ton de gravité, que mes charmes étaient tout célestes. Je suis cependant très-fâchée du mal que vous avez eu ; et afin que vous ne soyez plus maltraité, je vous pardonne, à condition toutefois que vous me répéterez tout ce que l’ange vous a dit. — Puisque vous me pardonnez, reprit le moine, je ne vous cacherai rien ; mais souvenez-vous bien qu’il vous faut garder un secret inviolable sur ce que je vais vous révéler. — Parlez sans crainte et comptez sur ma discrétion. — Vous êtes la plus heureuse de toutes les femmes, lui dit alors le père Albert : l’ange Gabriel vous aime avec passion, et s’il n’avait pas craint de vous déplaire, ou plutôt de vous effrayer, il y a déjà longtemps qu’il serait venu coucher avec vous. Il m’a chargé de vous dire qu’il en avait la plus grande envie, et qu’il se proposait de venir vous trouver la nuit qu’il vous plaira de lui assigner. Mais comme il est ange, et que s’il venait sous cette forme, vous ne pourriez le toucher, il m’a déclaré que, pour vous faire plaisir, il prendra la figure humaine. C’est pourquoi il m’a donné ordre de vous demander dans quel temps vous voulez qu’il vienne, et sous la forme de qui : soyez persuadée qu’il sera très-exact au rendez-vous ; par conséquent, vous pourrez vous flatter d’être la plus heureuse des femmes, comme vous en êtes la plus belle. » La bonne dame répondit naïvement qu’elle était ravie de l’amour que l’ange avait conçu pour elle, parce qu’elle avait toujours eu pour lui beaucoup de dévotion. Je ne vois son image dans aucune église, dans aucune chapelle, que je ne fasse brûler aussitôt un cierge en son honneur. Il peut venir quand il voudra, il sera bien reçu, et me trouvera seule dans ma chambre. Je le laisse le maître de prendre la figure de qui bon lui semblera, pourvu qu’elle ne soit pas effrayante. — Vous parlez à ravir, ma belle dame, laissez-moi faire, vous serez satisfaite. Mais j’aurais une grâce à vous demander : elle ne vous coûtera rien, et me fera grand plaisir : c’est de trouver bon que l’ange emprunte mon corps. Voici le bien qui en résultera pour moi : l’ange, animant mon corps, enverra mon âme en paradis, et l’y retiendra tant qu’il demeurera avec vous. — Il est juste, répliqua Lisette, de