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vous de devenir cruel dans votre vieillesse. Ne craignez pas que je vous fasse la moindre prière pour vous empêcher de tremper vos mains dans mon sang, si vous avez résolu de le faire. Je vous annonce seulement que je suis toute résolue de subir le traitement que vous destinez à Guichard, et que si ce n’est pas par votre ordre, ce sera de ma propre volonté. Ne pleurez donc plus, ou allez pleurer avec les femmelettes, et faites-nous mourir tous deux, si vous croyez que nous l’ayons mérité. »

Le prince reconnut à ce discours le courage et la fermeté de sa fille. Il ne la crut cependant pas capable d’exécuter ce qu’elle avait annoncé dans ces dernières paroles ; il pensait au contraire que la perte de son amant la guérirait bientôt de son amour. Il la quitte dans cette idée, et donne aussitôt des ordres pour que la nuit suivante on étrangle Guichard, qu’on lui arrache le cœur et qu’on le lui apporte incontinent. Le prince fut obéi, et ayant mis ce cœur dans une grande coupe d’or, il l’envoya à sa fille par un domestique, avec ordre de lui dire : « Le prince, votre père, vous envoie ce présent pour vous consoler de la perte de ce que vous aimiez le plus. » Sigismonde, qui avait prévu la perte de son amant, s’était munie d’un poison pour l’avoir tout prêt au besoin. Elle n’eut pas plutôt vu le présent et entendu le compliment que son père lui faisait faire, qu’elle ne douta plus que ce ne fût le cœur de Guichard. « Mon père, dit-elle à l’envoyé, a agi plus sagement qu’il ne pense peut-être : il a donné à ce cœur la sépulture qu’il méritait. » Après avoir baisé ce cœur avec