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toujours eue pour ma fille me porte à l’indulgence, et la lâcheté dont elle s’est rendue coupable me sollicite à la punir comme elle le mérite. Je ne suis pas dans la même incertitude à l’égard de ton indigne amant. Je l’ai fait arrêter cette nuit et mettre dans les fers. Je sais le sort que je lui prépare. J’ignore encore quel sera le tien ; mais soit que je te pardonne, soit que j’écoute ma juste indignation, je veux, avant de me décider sur ton compte, je veux savoir ce que tu as à dire. » Après ces paroles, il baissa la tête et sanglota comme un enfant.

Sigismonde, voyant que son intrigue était découverte et que Guichard était prisonnier, pensa vingt fois faire éclater sa douleur par ses larmes ; faible ressource, mais fort ordinaire aux personnes de son sexe. Cependant, comme elle avait l’âme grande, elle vainquit ces mouvements de faiblesse, et sentant bien que son amant était un homme perdu sans ressource, elle résolut de ne faire aucune prière pour elle, déterminée à ne point lui survivre. « Je n’ai rien à vous nier, mon père, lui répondit-elle, non en femme affligée ou qui se reproche quelque faute, mais d’un œil sec et d’un air tranquille et assuré ; je ne vous ferai non plus aucune prière, puisque je sens qu’elle serait inutile ; je ne chercherai même point à fléchir votre colère, ni à émouvoir votre amour en ma faveur. Je me bornerai à défendre mon honneur, et m’abandonnerai ensuite à mon courage. Oui, j’ai aimé et j’aime encore Guichard ; je l’aimerai tant que ma vie, qui ne sera pas longue, durera ; et si l’on aime après la mort, je vous déclare que je l’aimerai encore. La vertu de ce jeune homme et le peu de soin que vous avez pris de me marier ont eu plus de part à mon amour que la faiblesse du sexe. Comme vous n’êtes ni de fer ni de marbre, vous deviez songer que votre fille n’en était pas non plus ; vous deviez, quoique dans l’âge avancé, vous rappeler combien fortes et puissantes sont les passions de la jeunesse. Si vous avez passé vos premières années dans le dur métier des armes, il vous était encore plus aisé de sentir les inconvénients et les suites de la mollesse et de l’oisiveté, dans les hommes de tous les âges, et surtout dans les jeunes gens. Je suis sensible, je suis à la fleur de mon âge, et à ce double égard sujette à des besoins que le mariage a tellement irrités, que je n’ai pu m’empêcher de les satisfaire. Ce sont ces besoins sans doute qui ont allumé dans mon cœur les feux de l’amour. Mais qu’y a-t-il là de surprenant dans une jeune femme ? Ce n’est pas que je n’aie longtemps combattu les mouvements de la nature ; mais tous mes efforts ont été impuissants. Quand j’ai vu qu’il n’y avait pas moyen de résister à ma passion, j’ai pris toutes les précautions possibles pour accorder l’amour avec l’honneur, et ce n’est qu’à l’insu de tout le monde que j’ai cherché à satisfaire les désirs qui me gourmandaient. De quelque façon que vous ayez été instruit de mon intrigue, je ne la désavoue point. Je vous dirai seulement que ce n’est point le hasard qui m’a déterminée en faveur