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trouvassent ensemble ; et mit cette lettre dans le tuyau d’une canne, qu’elle donna à Guichard en lui disant : « Voilà pour votre servante, elle pourra en faire un soufflet pour allumer votre feu. » Il la prit, pensant bien qu’elle ne la lui avait pas donnée sans quelque intention cachée. De retour chez lui, il n’eut rien de plus pressé que de l’examiner. Il s’aperçoit qu’elle est fendue, l’ouvre avec empressement, y trouve une lettre qu’il lit et relit ; le cœur plein de joie, et s’étant bien pénétré de ce qu’elle contenait, il se dispose à mettre en pratique les moyens que la dame lui indiquait pour la voir en secret.

À l’un des angles du palais, il y avait une vieille cave, taillée dans le roc et tirant son jour par un soupirail pratiqué dans le rocher même. Comme elle était abandonnée depuis fort longtemps, le soupirail était quasi fermé par des buissons et des ronces qui étaient venus tout alentour. On pouvait y descendre par un escalier dérobé, qui répondait à l’appartement de la princesse ; mais cet escalier était si peu pratiqué, que personne ne s’en souvenait. L’amour, qui découvre tout, en fit souvenir Sigismonde, qui s’efforça aussitôt d’ouvrir la porte de cette cave. Elle s’en occupa secrètement plusieurs jours ; et après en être venue à bout avec une peine extrême, elle visita ce lieu souterrain, remarqua le soupirail, en mesura la hauteur ; et voyant que son amant pourrait descendre par ce trou, elle prit alors le parti de lui écrire pour le lui faire savoir.

L’amoureux Guichard, informé par la lettre de sa maîtresse de la profondeur de la cave, se munit d’une grosse corde noueuse, pour pouvoir y descendre et remonter, se procura un manteau de cuir pour se garantir des épines, et se rendit, la nuit suivante, au lieu indiqué. Il y descendit sans accident, après avoir bien attaché la corde à un tronc d’arbre, situé fort à propos presque à la bouche du soupirail. Il y passa le reste de la nuit et la matinée à attendre sa maîtresse. Celle-ci, feignant de vouloir reposer après son dîner, écarta ses dames d’honneur, et, se voyant toute seule, descendit ensuite dans la cave, où elle trouva Guichard fort impatient de son arrivée. Elle lui fit l’accueil le plus gracieux, le plus tendre, et le conduisit bientôt après dans sa chambre, où ils passèrent plusieurs heures dans les plaisirs que l’amour peut faire goûter. Après avoir pris des mesures pour se voir à l’avenir de la même manière, la princesse ramena son amant à la cave, referma la porte, et alla retrouver ses femmes. La nuit suivante, Guichard sortit de la caverne par le même chemin qu’il y était entré, et s’en retourna chez lui fort satisfait.

Ces deux amants se revoyaient souvent, mais pas tant qu’ils l’auraient désiré. Leurs plaisirs étaient d’autant plus délicieux, qu’ils étaient achetés par la contrainte et la gêne ; la fortune en fut jalouse, et changea en pleurs le sujet de leur joie. Le prince allait quelquefois sans suite dans la chambre de sa fille pour causer avec elle. Il s’y rendit un jour, l’après-dîner, pendant qu’elle était