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même à leur critique, et je tâcherai de me corriger. Mais s’ils sont dans l’impossibilité de me les présenter, je les laisserai dans leur sentiment, sans m’en inquiéter, et me contenterai de dire qu’eux seuls altèrent la vérité pour décrier mes productions.

Ces réponses, que je viens d’écrire couramment, me paraissent suffisantes pour le présent. Je me flatte qu’avec le secours de Dieu et le vôtre, mes aimables dames, je pourrai achever l’ouvrage que j’ai commencé sous vos auspices. J’ai assez de sagesse et de courage pour ne pas me laisser abattre par le souffle cruel de l’envie. Je saurai lui tourner le dos. Si mes ennemis augmentent d’efforts pour me nuire, il me sera aisé d’en triompher et de les couvrir de honte. Que peuvent-ils faire au bout du compte ? Je ne vois pas qu’il puisse m’arriver pis qu’au tourbillon de poussière agité par le vent : ou le vent n’a pas la force de l’enlever de terre, ou s’il l’emporte dans les airs, ce n’est que pour la laisser retomber sur la tête des hommes, sur la couronne des rois et des empereurs, ou bien sur le faîte des palais et sur le sommet des tours. En un mot, elle ne peut descendre plus bas que n’est le lieu d’où elle est montée.

Me voilà donc déterminé pour toujours, mes belles dames, à faire tout ce que je pourrai pour vous plaire et vous amuser. J’y suis plus disposé que jamais, quoi qu’on en puisse dire, parce que je sens que les personnes raisonnables et éclairées conviendront que ceux qui vous aiment ne font qu’obéir à la nature. Il est difficile de résister à ses lois. Il faudrait de trop grandes forces pour la subjuguer et la vaincre ; encore a-t-on vu les hommes qui avaient le plus d’empire sur eux-mêmes, succomber sous leurs efforts, et en être punis par cette même nature, à laquelle on ne désobéit jamais en vain. Pour moi, j’avoue que je n’ai pas la force de lui résister, et je ne désire nullement de l’avoir. Si je l’avais, je la prêterais à quelque autre, plutôt que de m’en servir. Ainsi le meilleur parti que mes censeurs puissent prendre, c’est de garder un profond silence. Leurs clameurs ne me corrigeront point. S’ils ont le cœur froid et glacé, peu fait pour aimer, qu’ils croupissent tant qu’ils voudront dans leur indifférence, et qu’ils me laissent passer à mon gré le peu d’années qui me restent à vivre… Mais revenons à notre sujet, que nous avons assez et trop longtemps perdu de vue.