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les mauvaises choses sont-elles ainsi faites ? — Oui, mon fils. — Je ne sais, mon père, ce que vous voulez dire, ni pourquoi ces choses-là sont mauvaises ; mais il me semble que je n’ai encore rien vu de si beau et de si agréable. Je doute que les anges peints que vous m’avez montrés soient aussi gentils que ces oies. Mon père, ne pourrions-nous pas en mener une dans notre ermitage ? Ce sera moi qui aurai soin de la faire paître. — Je ne le veux point, mon fils ; tu ne sais pas de quelle façon on les repaît. » Le père reconnut alors que la nature avait plus de force, par son instinct, que tous les préceptes de l’éducation, et se repentit d’avoir mené son fils à Florence… Mais, je m’arrête, et je laisse là la nouvelle pour retourner à ceux pour qui je l’ai racontée.

Quelques-uns de mes critiques, mes jeunes et charmantes dames, me font donc un crime de ce que je m’attache trop à vous faire ma cour. J’avoue, et j’avouerai devant tout l’univers, que vous me plaisez infiniment. J’ajoute même que je me ferai toujours un devoir de vous plaire. Tant pis pour eux s’ils le trouvent mauvais ; je me contenterai de leur demander ce qu’ils trouvent là de blâmable et de surprenant. Pourraient-ils m’en faire un crime, quand même je serais du nombre des amants que vous favorisez ? Mais, jusqu’à présent, mes seules jouissances sont de vous voir tous les jours, de contempler vos charmes, vos grâces naturelles, d’admirer votre enjouement, votre douceur, votre honnêteté et toutes les rares qualités dont vous êtes pourvues. Si, dès le premier moment qu’il vous vit, vous fûtes un objet de tendre affection pour celui qui avait été nourri et élevé au milieu des bois, sur le sommet d’une montagne déserte, doit-on, parce que je cherche à vous plaire, doit-on me blâmer, me mordre et me déchirer à belles dents ; moi, à qui le ciel n’a donné un cœur que pour vous aimer ; moi qui, dès ma plus tendre jeunesse, ai mis en vous toute mon espérance ; moi qui n’ai pu me défendre du pouvoir de vos charmes, des feux dévorants qui partent de vos yeux, des sons enchanteurs de votre voix douce et touchante ? Si, après avoir considéré l’effet que votre seul aspect a produit sur l’esprit et le cœur d’un pauvre ermite, et d’un jeune homme sans aucune expérience des plaisirs que vous procurez, ou plutôt d’une véritable bête sauvage, il se trouve encore quelqu’un qui ose blâmer les soins que je vous rends, ce censeur sera certainement un homme disgracié de la nature, un homme incapable de connaître le plaisir et la force du sentiment, et dès lors il ne mérite que mon mépris.

Quant à ceux qui parlent de mon âge, ils font bien voir leur ignorance. Qui ne sait qu’on peut avoir de la vigueur jusque dans la vieillesse même ? Il suffit d’avoir été sage dans son printemps. Je ne suis pas encore si vieux ; et quand mon âge serait plus avancé qu’il ne l’est, qui ignore que, quoique le poireau ait la tête blanche, il ne laisse pourtant pas d’avoir la queue verte ? Mais, quittant la plaisanterie, je réponds à ceux-ci que je ne rougirai jamais de faire jusqu’à