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traverse la salle des gardes, entre dans celle où tout le monde est réuni, voit le comte, se jette à ses pieds, et lui dit, les yeux baignés de larmes : « Voici, monseigneur, cette femme infortunée, qui a mieux aimé s’exiler de son pays et de votre palais que de priver plus longtemps vos sujets de votre présence. Elle vient vous sommer de tenir la promesse que vous avez faite aux députés qu’elle vous envoya quand vous étiez à Florence. Je vous apporte votre anneau ; et au lieu d’un fils, en voilà deux, qui sont à vous. J’ai rempli vos conditions ; remplissez actuellement la vôtre. »

Les assistants, et le comte surtout, parurent tombés des nues. Il n’eut pas de peine à reconnaître l’anneau ; mais quoique les enfants eussent avec lui une ressemblance marquée, il douta qu’il en fût le père. La comtesse lui conta, au grand étonnement de l’assemblée et au sien, comment la chose s’était passée, et il demeura alors convaincu de la vérité. Le comte admira son adresse, loua sa constance, et vaincu par les prières des spectateurs, et ravi d’ailleurs d’avoir deux jolis enfants, releva la comtesse, lui fit mille embrassades, se félicita de l’avoir pour femme, et eut pour elle l’estime et l’amour qu’elle méritait. Il la fit revêtir d’habits convenables à son rang, et asseoir à table à ses côtés, à la grande satisfaction de tous ceux qui étaient présents. Ce jour-là et plusieurs autres se passèrent en festins et en réjouissances. En un mot, le comte de Roussillon fut au comble de la joie, et eut depuis pour sa femme autant d’égards et de tendresse qu’il avait d’abord montré de mépris et d’indifférence.


NOUVELLE X

LA CASPIENNE OU LA NOUVELLE CONVERTIE

Dans la ville de Caspe, en Barbarie, il y eut autrefois un homme extrêmement riche, qui avait, entre plusieurs autres enfants, une fille jeune, jolie, pleine de grâces, et douce comme un agneau. Elle se nommait Alibech, et faisait les délices de sa famille. Comme elle n’était pas chrétienne et qu’elle entendait continuellement les chrétiens établis dans sa patrie faire l’éloge de notre religion, elle résolut de l’embrasser, et se fit secrètement baptiser par l’un des plus zélés d’entre eux. Cela fait, elle demande à celui qui l’avait baptisée quelle était la meilleure façon de servir Dieu et de faire son salut. Cet honnête homme lui répond que ceux qui voulaient aller au ciel plus sûrement renonçaient aux vanités et aux grandeurs de ce monde, et vivaient dans la retraite et la solitude, comme les chrétiens qui s’étaient retirés dans les déserts de la Thébaïde. Ne