Page:Boccace - Contes de Boccace, trad De Castres, 1869.djvu/233

Cette page n’a pas encore été corrigée

au comte de l’envoyer. La comtesse se trouva la nuit suivante au rendez-vous, et fut enfin dépucelée par son mari, qui ne la croyait pas si près. Dieu voulut qu’elle devînt grosse de deux beaux garçons, cette nuit même, à en juger par le temps de l’accouchement, car les rendez-vous furent répétés jusqu’au moment où il y eut preuves de grossesse ; et le comte ne la quittait jamais sans lui faire quelque joli cadeau ; c’était tantôt un anneau, tantôt un cœur, tantôt un autre bijou, que la comtesse conservait précieusement pour en faire usage en temps et lieu.

Quand elle se fut aperçue de sa grossesse, quelque plaisir qu’elle trouvât aux rendez-vous, elle crut devoir y mettre fin, pour ne plus importuner la Florentine. « Par la grâce de Dieu, madame, lui dit-elle, j’ai ce que je désirais. Il est temps que je me retire, et que je fasse pour mademoiselle votre fille ce que j’ai promis. » La dame lui répond qu’elle est enchantée de la nouvelle qu’elle lui apprend, et ajoute que ce n’est dans aucune vue d’intérêt, mais par amour pour l’honnêteté, qu’elle l’a obligée. « C’est fort louable à vous ; mais ce ne sera point pour vous payer du service important que vous m’avez rendu, ce sera aussi par amour pour l’honnêteté, que je veux doter mademoiselle votre fille. Voyez donc, madame, ce que vous désirez que je lui donne. — Puisque donc il n’y a pas moyen de se défendre de votre générosité, lui répondit la dame en rougissant, cent ducats sont plus que suffisants pour cet objet. » La comtesse admira sa discrétion, et la força d’en prendre cinq cents, qu’elle accompagna de plusieurs bijoux, qui valaient pour le moins autant. Grands remercîments, comme vous pouvez croire, de la part de la Florentine. Cette honnête dame, pour ôter tout prétexte au comte de rentrer dans sa maison, se retira, avec sa fille, à la campagne, chez un de ses parents. Bertrand, désespéré de la disparition de celle qu’il croyait sa maîtresse, se rendit enfin aux vœux de ses vassaux qui, depuis la retraite de sa femme, n’avaient cessé de solliciter son retour dans le Roussillon.

La comtesse, charmée de son départ, crut devoir demeurer à Florence jusqu’à ce que le temps de ses couches fût arrivé ; elle mit au monde deux beaux garçons qui avaient tous les traits de leur père. Elle leur donna une nourrice, et quand elle fut parfaitement rétablie de ses couches, elle se disposa à retourner en France, et se mit en route, accompagnée de la nourrice, de son cousin et de sa femme de chambre. Arrivée dans le Languedoc, elle séjourna quelques jours à Montpellier. Ce fut là qu’elle apprit la nouvelle d’une assemblée de gens notables, de l’un et de l’autre sexe, qui devait se tenir le jour de la Toussaint, dans le Roussillon. Elle s’y rendit, avec le même habit de pèlerine qu’elle avait pris en partant. Elle arriva au palais du comte, où se tenait cette belle assemblée, comme on était sur le point de se mettre à table. Elle entre dans la cour, sans avoir changé d’habillement ; et prenant ses deux enfants sur ses bras,