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Elle fit encore jaser son hôtesse, et quand elle en eut tiré tous les éclaircissements possibles, et qu’elle se fut informée de la demeure et du nom de la dame en question, elle alla secrètement la voir. Elle la trouva avec sa fille, et après les avoir saluées l’une et l’autre, elle dit à la mère qu’elle désirerait de l’entretenir un moment en particulier. Elles passent dans une autre chambre, et, s’étant assises, la comtesse lui dit : « Il me paraît, madame, que vous n’avez pas plus que moi à vous louer de la fortune ; mais si vous voulez me rendre le service que je viens vous demander, je vous promets de réparer ses torts à votre égard. — Et que puis-je faire pour vous ? — Beaucoup, madame ; mais avant de vous ouvrir mon cœur, je vous demande le secret. — Je vous le promets ; parlez en toute sûreté ; je suis femme d’honneur, et j’aimerais mieux mourir que de manquer à ma parole pour trahir qui que ce fût. » Sur cette assurance, la comtesse lui dit qui elle était, lui conta le commencement et le progrès de son amour, les suites de son mariage, et la réponse de son mari aux députés qu’elle lui avait envoyés ; en un mot, elle lui fit l’histoire de sa vie, sans lui rien déguiser, et mit tant d’intérêt et un si grand air de vérité dans sa narration, que la Florentine fut persuadée, dès le commencement, de ce qu’elle lui disait, et fut touchée de ses malheurs.

« Je savais, madame, une partie de ce que vous venez de me raconter, lui dit-elle, et je m’intéressais à votre sort sans vous connaître ; mais en quoi puis-je vous être utile ?

— Vous n’ignorez pas, madame, répondit la comtesse, quelles sont les deux choses que je dois avoir pour recouvrer mon mari : il dépend de vous de me les procurer, s’il est vrai, comme on me l’a dit, que le comte aime mademoiselle votre fille.

— S’il l’aime sincèrement, reprit la dame, c’est ce que j’ignore : ce que je sais, c’est qu’il fait tout ce qu’il faut pour persuader qu’il en est fou. Mais dites-moi donc comment je puis vous servir et vous procurer ce que vous désirez ?

— Je vous le dirai après que je vous aurai fait connaître mes dispositions. Sachez donc, madame, que ma reconnaissance sera sans bornes. Votre fille est dans l’âge d’être mariée, et le serait peut-être déjà, si elle était riche : je me charge de lui faire une dot très-considérable pour la mettre à portée de trouver un mari digne de sa naissance. Pour cela, je ne vous demande qu’un service qui ne vous coûtera rien, et que vous pouvez me rendre sans vous compromettre. »

Les offres de la comtesse plurent beaucoup à cette tendre mère, qui ne soupirait qu’après l’établissement de sa fille. Néanmoins, comme elle avait le cœur noble : « Vous n’avez qu’à me dire ce qu’il faut que je fasse pour vous obliger, madame, lui répondit-elle ; je le ferai de grand cœur et sans intérêt, puisque mon honneur ne sera point compromis. Si, après cela, vous jugez ma fille digne de vos bontés, vous serez la maîtresse de l’honorer de vos bienfaits.