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valétudinaire toute sa vie, mourut enfin, et laissa Bertrand, son fils, sous la tutelle du roi de France, qui ne tarda pas à le faire venir à Paris.

On conçoit aisément le chagrin que son départ dut causer à la jeune demoiselle. Elle faillit en mourir de douleur. L’espérance de le revoir la soutint un peu et lui rendit la santé. Quand elle eut perdu son père, dont la mort suivit de près celle de son malade, elle serait volontiers partie pour Paris, si, commençant déjà de raisonner, elle n’avait eu peur de choquer les bienséances. D’ailleurs, comme elle était sans frères ni sœurs, et que son père lui avait laissé un riche héritage, il lui eût été difficile de tromper la vigilance de ses proches, qui la veillaient de fort près. Parvenue à l’âge d’être mariée, elle refusait tous les partis qu’on lui offrait, parce qu’elle nourrissait toujours la passion qu’elle avait pour le comte. Comme elle ne l’avait point donné à connaître à personne, elle disait, pour colorer ses refus, qu’elle était trop jeune pour prendre un établissement qui ne devait finir qu’avec sa vie. Elle avait un pressentiment qu’elle pourrait un jour épouser celui qu’elle aimait.

Le désir d’aller à Paris, pour jouir seulement du plaisir de le voir, ne l’abandonnait point. Elle eut bientôt occasion de le satisfaire : elle apprit que le roi souffrait beaucoup d’une fistule, causée par les suites d’une enflure d’estomac, pour laquelle il n’avait pas été bien traité ; que tous les médecins qu’il avait consultés n’avaient fait qu’irriter son mal ; et que, désespérant lui-même de sa guérison, il avait renoncé aux secours de l’art. Cette nouvelle lui fit grand plaisir, parce qu’elle lui fournissait un prétexte honnête pour se rendre à Paris, disant qu’elle se sentait en état de guérir le roi. Son père lui avait effectivement laissé plusieurs secrets, un entre autres contre les ulcères les plus tenaces. Elle partit donc incontinent, dans l’espérance que si son remède opérait la guérison du roi, il ne lui serait pas difficile d’obtenir ensuite Bertrand pour mari.

Le premier soin de Gillette, quand elle fut arrivée à Paris, fut d’aller voir le comte, qui l’accueillit avec beaucoup de politesse. Elle parvint ensuite à se faire introduire auprès du roi, et le pria en grâce de lui faire voir son mal. Ce prince, charmé de sa jeunesse, de sa douceur et de sa beauté, ne crut pas devoir la refuser. Quand elle eut vu la partie affligée : « J’ose vous promettre, sire, lui dit-elle, de vous guérir radicalement dans huit jours, si vous voulez faire les remèdes que je vous donnerai, et qui ne vous causeront pas la moindre douleur. » Le roi d’abord se moque d’elle, se disant à lui-même : « Comment une fille de cet âge pourrait-elle réussir dans une cure où les plus habiles médecins ont échoué ? » Il se contenta de lui répondre qu’il était résolu de ne plus faire de remèdes. « Sans doute, sire, reprit-elle, que mon sexe et ma jeunesse sont cause que vous n’avez aucune foi à mon remède ; mais j’aurai l’honneur du vous dire que ce n’est point sur mes faibles lumières que je compte, mais sur celles de mon père, qui durant toute sa vie a joui d’une grande réputation parmi les