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prières de ta femme, et à celles du saint abbé du couvent de ton village. — Dieu soit loué ! s’écria le prisonnier plein de joie, je reverrai donc ma douce et bénigne femme, mon cher et tendre fils, le saint et pieux abbé, à qui je devrai ma délivrance. Que Dieu les bénisse à jamais ! »

À peine eut-il dit ces mots, qu’il tomba en léthargie. L’abbé avait eu la précaution de faire mettre dans sa boisson de la même poudre ; mais on n’en avait mis qu’autant qu’il en fallait pour le faire dormir quatre ou cinq heures seulement. Il profita de son sommeil, aidé du moine boulonnais, son confident, pour le revêtir de ses habits, et le porter dans le caveau où il avait été d’abord enterré.

Il était déjà grand jour, lorsque le prétendu mort se réveilla. Apercevant, par un trou, la lumière qu’il n’avait point vue depuis dix mois, et sentant, dès ce moment, qu’il était réellement en vie, il s’approcha du trou, et se mit à crier de toutes ses forces qu’on lui ouvrît. Comme personne ne lui répondait, il essaya de la tête et des épaules à pousser lui-même la pierre qui couvrait le tombeau. Il fit de si grands efforts, qu’il l’entr’ouvrit, parce qu’elle n’était pas bien jointe. Il crie de nouveau à son secours ; les moines, qui venaient de chanter matines, accourent au bruit de cette voix sourde. Ils s’approchent du tombeau, et sont si épouvantés, qu’ils prennent la fuite, et vont avertir l’abbé de ce prodige. L’abbé feignait d’être en ce moment en oraison. « Ne craignez rien, mes enfants, leur dit-il, prenez la croix et l’eau bénite, et allons voir, avec un saint respect, ce que la puissance de Dieu vient d’opérer. » Pendant ce temps, le bonhomme Féronde était parvenu, à force d’efforts, à détourner assez la pierre pour passer son corps et sortir du tombeau. Il était pâle, défait, comme devait l’être un homme qui avait passé tant de temps sans voir la lumière. Dès qu’il aperçoit l’abbé, il se jette à ses pieds, et lui dit : « Mon père, ce sont vos prières et celles de ma femme qui m’ont délivré des peines du purgatoire et rendu à la vie. Je prie Dieu qu’il vous accorde de longs jours, et vous comble de ses grâces. — Que le saint nom du Tout-Puissant soit béni, dit alors l’abbé ! Lève-toi, mon fils, et va consoler ta femme, qui, depuis ta mort, n’a cessé de pleurer ; va, et sois un fidèle serviteur de Dieu. — Je sens, mon père, toute ce que je lui dois ; soyez sûr que je ferai de mon mieux pour lui marquer ma reconnaissance. La bonne, l’excellente femme ! Je vais la joindre, et lui prouver par mes caresses le cas infini que je fais de son attachement. Je la recommande, mon père, à vos saintes prières et à celles de la communauté. »

L’abbé feignit d’être plus étonné que ses moines ; il ne manqua pas de leur faire valoir la grandeur de ce miracle, en l’honneur duquel il leur ordonna de chanter le Miserere.

Féronde retourne dans sa maison. Tous ceux qui le rencontrent dans le chemin prennent la fuite, comme à la vue d’un spectre. Sa femme même,