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par des discours pleins de sagesse et d’édification, il la prit à l’écart, et lui rappela, à voix basse, pour n’être pas entendu de son camarade, la promesse qu’elle lui avait faite. La femme, devenue libre par la mort de son mari, et voyant luire au doigt de l’abbé un anneau beaucoup plus beau que celui qu’elle en avait déjà reçu, lui répond qu’elle est encore disposée à la tenir, et il convient avec elle qu’il ira la rejoindre la nuit suivante.

Il y alla en effet, vêtu des habits du pauvre Féronde, qui dormait encore. Il coucha avec elle, et s’en donna à loisir tant et plus, malgré la sainteté dont il faisait profession. On sent bien que le drôle ne s’en tint pas à cette nuit-là. Il allait et venait si souvent, qu’il fut rencontré par plusieurs personnes ; mais comme il ne faisait ce chemin que de nuit, ces bonnes gens s’imaginèrent que Féronde lui-même revenait pour demander des prières ou faire quelque pénitence ; ce qui donna lieu dans tout le village à mille contes plus ridicules les uns que les autres. On en parla même à la veuve ; mais comme elle savait mieux que personne ce qui en était, elle ne s’en mit guère en peine.

Cependant le pauvre Féronde se réveilla trois ou quatre jours après. Il ne pouvait s’imaginer dans quel lieu il se trouvait, lorsque le moine boulonnais entra dans sa prison, muni d’une poignée de verges, dont il lui appliqua cinq ou six coups à force de bras. « Hélas ! où suis-je ? s’écria-t-il en fondant en larmes. — Tu es en purgatoire, lui répondit le moine d’une voix terrible. — Je suis donc mort ? — Sans doute, » repartit le moine. À cette nouvelle, le pauvre homme se lamente plus fort, pleure sa femme et son fils, et dit les plus grandes extravagances du monde. Le moine rentra quelque temps après, pour lui apporter de quoi boire et manger. « Eh quoi ! dit Féronde, est-ce que les morts mangent ? — Oui, dit le religieux ; oui, ils mangent quand Dieu l’ordonne. La nourriture que je t’apporte est ce que la femme que tu as laissée sur la terre a envoyé ce matin à l’église, pour faire dire des messes pour le repos de ton âme ; Dieu veut qu’on te le rende ici. — Ô vous ! qui que vous soyez, donnez de ma part à cette chère femme, donnez-lui le bonjour. Je l’aimais tant, quand je vivais, que je la serrais toute la nuit dans mes bras ; je la couvrais sans cesse de baisers, et puis, quand l’envie m’en prenait, je lui faisais autre chose. Saluez-la, vous dis-je, de ma part, s’il est en votre pouvoir, monsieur le Diable, ou monsieur l’Ange ; car je ne sais lequel des deux vous êtes. » Après avoir parlé ainsi, notre bon imbécile, qui se sentait faible, se mit à manger et à boire. N’ayant pas trouvé le vin bon : « Que Dieu la punisse ! s’écria-t-il incontinent. C’est une véritable carogne. Pourquoi n’a-t-elle pas envoyé au prêtre du vin du tonneau qui est couché le long du mur ? » À peine eut-il achevé de prendre la mince nourriture qu’on lui avait donnée, que le moine recommença à le discipliner. « Pourquoi me frapper ainsi ? — Parce que Dieu me l’a commandé, il veut que tu en reçoives autant deux fois le jour.