comme vous ? — Vous pouvez faire autant et plus pour moi, reprit l’abbé, que je ne puis faire pour vous ; je vais vous procurer le repos, il ne tiendra qu’à vous de me le procurer aussi ; car je l’ai totalement perdu depuis que je vous connais ; vous pouvez même me conserver la vie, que je perdrai infailliblement, si vous n’apportez remède à mon mal. — Que faut-il donc que je fasse ? Je ne demande pas mieux que de vous témoigner ma reconnaissance. Quel est votre mal, et comment puis-je le guérir ? — Mon mal n’est autre chose que beaucoup d’amour pour vous ; et si vous ne m’aimez comme je vous aime, si vous ne m’accordez vos faveurs, je suis un homme mort. — Hélas ! que me demandez-vous là ? dit la femme tout étonnée. Je vous regardais comme un saint. Convient-il à un prêtre, à un religieux, à un confesseur, de faire de pareilles demandes à ses pénitentes ? — Ne vous en étonnez pas, ma chère amie, la sainteté n’en sera point altérée, parce qu’elle réside dans l’âme, et que ce que je demande ne regarde que le corps. Ce corps a ses besoins, qu’il est permis de satisfaire, pourvu que l’on conserve un esprit pur. Ce n’est pas la nourriture que l’on prend qui constitue le péché de gourmandise ; c’est l’idée qu’on y attache ; il en est de même des autres besoins de l’homme. Si quelque chose doit vous étonner, c’est l’effet que produit votre beauté sur une âme qui a coutume de ne voir que des beautés célestes. Il faut que vos charmes soient bien puissants, pour m’avoir porté à désirer la faveur que je vous demande. Vous pouvez vous vanter d’être la plus belle de toutes les femmes, puisque la sainteté même n’a pu se défendre de convoiter votre cœur. Quoique religieux, quoique abbé, quoique saint, je n’en suis pas moins homme. J’en aurais plus de mérite sans doute devant Dieu, si je pouvais faire le sacrifice de l’amour que vous m’avez inspiré et du plaisir que j’en attends ; mais je vous avoue que ce sacrifice est au-dessus de mes forces, tant votre beauté a fait d’impression sur mon âme. Ne me refusez pas la grâce que je vous demande. Pourquoi balanceriez-vous à me l’accorder ? Je ne suis pas encore vieux, comme vous voyez ; quelque austère que soit la vie que je mène, elle ne m’a pas encore défiguré ; mais quand bien même je ne vaudrais pas votre mari du côté de la figure, ne devez-vous pas aimer qui vous aime, et avoir quelque complaisance pour quelqu’un qui tenterait l’impossible pour vous rendre heureuse dans ce monde et dans l’autre ? Bien loin que ma proposition vous fît de la peine, vous devriez en être charmée. Tandis que le jaloux Féronde sera en purgatoire, je vous ferai compagnie et vous servirai de mari ; personne n’en saura jamais rien. Profitez donc, ma belle amie, de l’occasion que le ciel vous ménage. Je connais beaucoup de femmes qui seraient ravies d’avoir une pareille fortune. Si vous êtes sage, vous ne la laisserez point échapper. Sans compter que j’ai beaucoup de belles bagues et des bijoux très-précieux, dont je vous ferai présent, si vous consentez à faire pour moi ce que je suis disposé à faire pour vous. Seriez-vous
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