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Maître Chappellet, que ses friponneries n’avaient point enrichi, et qui se trouvait alors désœuvré, considérant d’ailleurs que Musciat, son seul appui, était à la veille de quitter la France, se détermina à accepter l’offre, et répondit qu’il se chargeait volontiers de l’affaire. On convint des conditions. Musciat lui remit ensuite sa procuration et les lettres du roi qu’il lui avait promises.

Ce seigneur fut à peine parti pour l’Italie, que notre fripon arriva à Dijon, où il n’était presque connu de personne. Il débuta, contre son ordinaire, par exposer avec beaucoup de douceur et d’honnêteté, aux débiteurs de Musciat, le sujet qui l’amenait auprès d’eux, comme s’il n’eût voulu se faire connaître qu’à la fin. Il était logé chez deux Florentins, frères, qui prêtaient à usure, lesquels, à la considération de Musciat qui le leur avait recommandé, lui faisaient beaucoup d’honnêtetés.

Peu de temps après son arrivée, maître Chappellet tomba malade. Les deux frères firent aussitôt venir des médecins, et lui donnèrent des gens pour le servir. Ils n’épargnèrent rien pour le rétablissement de sa santé, mais tout cela fut inutile. Cet homme était déjà vieux ; et comme il avait passé sa vie dans toute espèce de débauches, son mal alla tous les jours en empirant. Bientôt les médecins désespérèrent de sa guérison, et n’en parlaient plus que comme d’un malade sans ressource.

Les Florentins, sachant son état, témoignèrent de l’inquiétude. « Que ferons-nous de cet homme ? se disaient-ils l’un à l’autre dans une chambre assez voisine de celle de Chappellet. Que penserait-on de nous, si on nous voyait mettre si cruellement à la porte un moribond que nous avons si bien accueilli, que nous avons fait servir et médicamenter avec tant de soin, et qui, dans l’état où il est, ne peut nous avoir donné aucun sujet légitime de le congédier ? D’un autre côté, il nous faut considérer qu’il a été si méchant, qu’il ne voudra jamais se confesser, ni recevoir les sacrements, et que, mourant dans cet état, il sera jeté, comme un chien, en terre profane. Mais quand il se confesserait, ses péchés sont en si grand nombre et si horribles, que, nul prêtre ne voulant l’absoudre, il serait également privé de la sépulture ecclésiastique. Si cela arrive, comme nous avons tout lieu de le craindre, alors le peuple de cette ville, déjà prévenu contre nous, à cause du commerce que nous faisons, et contre lequel il ne cesse de clabauder, ne manquera pas de nous reprocher la mort de cet homme, de se soulever, et de saccager notre maison. Ces maudits Lombards, dira-t-on, qu’on ne veut pas recevoir à l’église, ne doivent plus être ici supportés : ils n’y sont venus que pour nous ruiner ; qu’on les bannisse de la ville, et, peu content d’avoir mis tous nos effets au pillage, le peuple est capable de tomber sur nos personnes, et de nous chasser lui-même sans autre forme de procès. Enfin, si cet homme meurt, sa mort ne peut avoir que des suites très-funestes pour nous. »

Maître Chappellet, qui, comme on le voit dans la plupart des malades, avait