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salut avec un pareil homme. Vous ne sauriez vous imaginer ce que j’ai à souffrir de sa bêtise et de sa stupidité. Ce sont continuellement des altercations, des gronderies et des reproches sur des misères. Il est d’ailleurs d’une jalousie dont rien n’approche, quoique je puisse dire, avec vérité, que je n’y donne pas sujet. Je vous aurais bien de l’obligation, mon père, si vous vouliez me dire comment je dois m’y prendre pour le guérir de ce travers qui fait mon malheur et le sien. Tant qu’il se conduira comme il le fait à mon égard, je crains que toutes mes bonnes œuvres ne soient des œuvres mortes, par les impatiences continuelles auxquelles je me livre. »

Ces paroles chatouillèrent agréablement l’oreille et le cœur de l’abbé. Il crut, dès ce moment, qu’il lui serait aisé d’accomplir ses desseins sur la belle. « Il est sans doute bien désagréable, répondit-il, pour une femme sensible et jolie, de ne trouver dans son mari qu’un sot sans esprit et sans jugement ; mais je crois qu’il est encore plus fâcheux pour elle d’avoir affaire à un mari dur et jaloux. Je conçois, ma fille, toute l’étendue de vos peines. Le seul conseil que je puisse vous donner pour les diminuer, c’est de tâcher de guérir votre mari du mal cruel de la jalousie. Je conviens que la chose ne vous est pas aisée, mais je vous offre mes services. Je sais un remède infaillible : je l’emploierai, pourvu toutefois que vous me promettiez un secret inviolable sur ce que je vous dirai. — Ne doutez point de ma discrétion, répondit la dame ; je mourrais mille fois, s’il était possible, plutôt que de révéler une chose que vous m’auriez défendu de dire. Parlez sans crainte, et dites-moi quel est ce remède ? — Si nous voulons, répliqua l’abbé, que votre mari guérisse, il faut de toute nécessité qu’il fasse un tour en purgatoire. — Que dites-vous donc là, mon cher père ? Est-ce qu’on peut aller en purgatoire tout en vie ? — Non, il mourra avant d’y aller ; et quand il y aura passé assez de temps pour être guéri de sa jalousie, nous prierons Dieu, l’un et l’autre, qu’il le rappelle à la vie, et je vous garantis que nos prières seront exaucées. — Mais, en attendant qu’il ressuscite, faudra-t-il que je demeure veuve ? Ne pourrais-je point me remarier ? — Non, mon enfant, il ne vous sera pas permis de prendre un autre mari ; Dieu en serait irrité. D’ailleurs vous seriez obligée de le quitter lorsque Féronde reviendra de l’autre monde, et ce nouveau mariage ne manquerait pas de le rendre plus jaloux qu’auparavant. — Je me soumettrai aveuglément à toutes vos volontés, mon père, pourvu qu’il guérisse de son mal, et que je ne sois pas dans le cas de demeurer longtemps dans le veuvage ; car je vous avoue que s’il arrivait que vous ne pussiez le ressusciter, il me serait difficile de n’en point prendre un autre, dût-il être jaloux comme lui. — Soyez tranquille, ma chère enfant, j’arrangerai toutes choses pour le mieux ; mais quelle récompense me donnerez-vous pour un tel service ? — Celle que vous souhaiterez, si elle est en mon pouvoir ; mais que peut faire une femme comme moi pour un homme