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avec tant de prudence, qu’ils n’eurent jamais le moindre démêlé et que peu de personnes se doutèrent de leurs amours.


NOUVELLE VIII

LE RESSUSCITÉ

Il y eut, et il y a encore dans la Toscane, une abbaye située dans un lieu solitaire, comme le sont ordinairement ces sortes de maisons. Le moine qui en était l’abbé menait une vie assez régulière, à l’article des femmes près, dont il ne pouvait se passer ; mais le bon père prenait si bien ses mesures, que ses intrigues étaient parfaitement ignorées de sa communauté, qui le regardait comme un saint religieux. Il y avait, dans le voisinage de l’abbaye, un riche paysan, nommé Féronde, un homme matériel et stupide. Il fit connaissance avec l’abbé, qui, le voyant si simple et si bête, ne le recevait chez lui que pour avoir occasion de s’égayer à ses dépens. Ayant passé quelques jours sans paraître au couvent, l’abbé résolut d’aller lui faire une visite. La femme de Féronde était jeune et jolie. Le moine ne l’eut pas plutôt aperçue qu’il en devint amoureux. Quel dommage, disait-il, que ce rustre possède un pareil bijou, dont il ne connaît sans doute pas le prix ! Il se trompait ; car, quoique Féronde n’eût pas d’esprit, il ne laissait pas de bien aimer sa femme, et la veillait de près ; il en était même si jaloux, qu’il ne la perdait presque pas de vue. Cette dernière découverte ne fit aucunement plaisir à l’abbé, qui la convoitait de tout son cœur, et qui craignait de ne pouvoir la lui débaucher. Il ne perdit cependant pas espérance. Comme il était fin et rusé, il sut si bien amadouer le jaloux, qu’il l’engagea à mener quelquefois sa femme au beau jardin de l’abbaye. Le bon hypocrite partageait avec eux le plaisir de la promenade, et, pour mieux les duper l’un et l’autre, ne les entretenait que de choses saintes. L’onction qu’il mettait dans ses discours, le zèle qu’il montrait pour leur salut, le faisaient passer pour un saint dans leur esprit. Enfin il joua si bien son personnage, que la femme mourait d’envie de le prendre pour son directeur. Elle en demanda la permission à son mari, qui la lui accorda volontiers. La voilà aussitôt aux pieds de l’abbé, qui, ravi d’avoir une telle pénitente, se proposait de tirer parti de sa confession pour la conduire à ses fins. Le catalogue des gros péchés fut bientôt expédié ; mais les affaires du ménage furent de plus longue discussion. C’était là que le confesseur l’attendait. Il lui demanda si elle vivait bien d’accord avec son mari. « Hélas ! lui répondit-elle, il est bien difficile de faire son