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répandus le jour de la mort de celui qu’on a pris pour lui, m’obligent de retenir les mouvements de ma juste reconnaissance. — Belle raison ! répliqua le mari : crois-tu que j’ajoute foi à tous ces bavardages ? Je lui dois ma liberté, et cela doit confondre les calomniateurs. Lève-toi, cours l’embrasser, et ne t’embarrasse pas du reste. » Hermeline le désirait trop pour se le faire dire encore ; elle l’embrassa donc et lui fit mille amitiés. La manière libre et généreuse dont en usait Aldobrandin plut extrêmement aux frères de Tédalde. Tout le monde fut content, et les honnêtetés mutuelles rétablirent entièrement la bonne intelligence entre les deux familles. L’ex-pèlerin, au comble de sa joie, déchira les habits de deuil que portaient ses frères, leurs femmes et ses sœurs, et leur en fit mettre d’autres. Ensuite on chanta, on dansa, on fit mille folies plus amusantes les unes que les autres ; de sorte que la fin du repas fut aussi gaie que le commencement avait été triste. Tédalde régala le lendemain les mêmes convives, et plusieurs jours se passèrent en festins et en divertissements.

Les Florentins regardèrent longtemps Tédalde comme un homme ressuscité. On était tenté de crier au miracle. Plusieurs de ses parents mêmes n’étaient pas tout à fait convaincus que ce fût véritablement lui, et ne l’auraient peut-être jamais cru, sans un événement qui fit connaître quel était celui qui avait été tué.

Des gens de l’Unigiane passant un jour devant la maison de Tédalde, et le voyant sur sa porte, coururent le saluer. « Eh ! bonjour, notre ami Fativole ! lui dirent-ils en présence de ses frères. Comment te portes-tu ? — Vous vous trompez, mes bonnes gens, répondit-il ; vous me prenez sans doute pour un autre, car je ne vous connais point. » En effet, ils reconnurent à sa voix qu’ils s’étaient mépris, et lui en firent des excuses. « Jamais homme, ajoutèrent-ils, n’a mieux ressemblé à un de nos amis, nommé Fativole, de Pontremoli, qui doit être arrivé ici depuis environ quinze jours, et que nous cherchons partout, sans pouvoir le découvrir : il fallait vous entendre parler pour nous détromper ; vous lui ressemblez parfaitement, à l’habit près, car le sien n’était pas aussi beau, ni de si belle couleur que le vôtre. — Comment était-il habillé ? dit le frère aîné de Tédalde, qui avait entendu la conversation. — De la même étoffe et de la même couleur que vous voyez nos habits ; car c’est un homme de notre état, » répondirent-ils. Ces détails et plusieurs autres particularités qu’on apprit de ces étrangers firent voir clairement que ce Fativole était l’homme qui avait été assassiné ; et dès ce moment tout le monde demeura entièrement convaincu que l’ex-pèlerin n’en avait aucunement imposé.

C’est ainsi que Tédalde, expatrié par les rigueurs d’une maîtresse qu’il adorait, parvint à renouer avec elle, après une absence de sept ans, qui fut cause de sa grande fortune. La belle fit de son mieux pour lui faire oublier son ancien tort ; et ces deux amants vécurent depuis dans une si parfaite union, et se conduisirent