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de toute la parenté, et surtout de madame Hermeline, qui connaissait son mérite mieux que personne.

Plusieurs jours s’étant passés en réjouissances, le pèlerin somma son hôte de se réconcilier, comme il l’avait promis, avec les frères de Tédalde, qui étaient dans la dernière surprise d’un changement si subit, et qui craignaient qu’Aldobrandin ne les prît à partie pour l’avoir fait arrêter si imprudemment sur un simple soupçon de jalousie. Aldobrandin répondit avec franchise qu’il était tout prêt à faire ce qu’il lui prescrirait à cet égard. « Il faut, dit alors le pèlerin, que vous fassiez préparer pour demain un grand repas. Vous engagerez vos parents et leurs femmes à s’y trouver, et j’irai, de votre part, prier les frères de Tédalde de s’y rendre, après leur avoir annoncé notre projet de réconciliation. » Aldobrandin l’ayant laissé maître de tout, il alla chez ses quatre frères, leur parla comme il convenait dans la circonstance, et leur prouva par des raisons solides et sans réplique qu’ils lui devaient des réparations. Ils lui promirent de se rendre chez lui, et de lui demander pardon de tout ce que leur attachement pour leur frère leur avait fait entreprendre contre lui. Quand il eut ainsi leur parole, il les pria, de sa part, à dîner pour le lendemain, avec leurs femmes.

Le jour suivant, les quatre frères, en habit de deuil (car ils ignoraient encore la déclaration qu’avaient faite, touchant la qualité du mort, les vrais auteurs de l’assassinat), et accompagnés de quelques-uns de leurs amis, sortirent un peu avant l’heure indiquée, pour se rendre chez Aldobrandin, où ils arrivèrent les premiers. Ils n’eurent pas plutôt paru devant lui qu’ils posèrent à terre leurs épées et lui demandèrent pardon en se mettant à sa discrétion. Le bon Aldobrandin les reçut les larmes aux yeux, et les embrassa en leur disant qu’il leur pardonnait de tout son cœur. Leurs femmes et leurs sœurs arrivèrent ensuite en deuil et furent très-bien accueillies. Chacun fit de son mieux pour se surpasser en honnêtetés. Le festin n’alla pas moins bien que le raccommodement ; on fut magnifiquement servi, et tout se passa avec beaucoup de décence. Cependant le repas fut triste et silencieux, à cause du deuil des Éliséi, qui croyaient toujours que l’homme assassiné était véritablement leur frère Tédalde, dont on leur avait annoncé l’arrivée. Ils savaient seulement, comme le reste du public, qu’Aldobrandin avait été soupçonné et accusé à faux. Ce qui avait donné lieu à cette accusation, c’est que le corps du prétendu Tédalde avait été trouvé percé de coups sur la porte de sa maison, où les meurtriers l’avaient apporté pour donner le change sur les auteurs du délit. Leur douleur, encore récente, répandit sur le reste de l’assemblée un air morne qui donna lieu à quelques convives de blâmer le pèlerin d’avoir ordonné cette fête. Afin de réparer cette irrégularité et de dissiper cette tristesse, il crut devoir se faire connaître. Il se lève, après le premier service, et se tenant debout : « Je sens, dit-il, messieurs