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premier sommeil, sans la moindre résistance. Ils comparurent aussitôt devant le juge qui les interrogea chacun en particulier, et qui, les ayant menacés de la question, leur arracha l’aveu de leur crime. Ces malheureux confirmèrent cet aveu à la confrontation, ajoutant toutefois qu’ils ne connaissaient pas Tédalde Élizéi et que celui qu’ils avaient tué était un homme de la campagne, qui venait fréquemment à Florence, où il logeait ordinairement chez eux. Interrogés sur le motif qui les avait portés à commettre ce meurtre, ils répondirent que c’était pour se venger de ce que cet homme avait voulu, pendant leur absence, débaucher la femme de l’un d’eux.

Le pèlerin, témoin de tout ce qui venait de se passer, prit congé du magistrat sans lui dire qui il était, voulant le laisser dans l’opinion que l’homme assassiné était de la famille des Élizéi. Il retourna ensuite secrètement chez Hermeline, qui l’attendait avec impatience. Elle ne s’était point couchée, mais elle avait fait coucher ses domestiques pour se trouver seule avec lui. « Réjouissez-vous, ma bonne amie, je vous apporte de bonnes nouvelles, lui dit-il en l’abordant ; votre mari est sur le point d’être mis en liberté. » Pour lui en donner de plus fortes assurances, il lui rendit compte de tout ce qui était arrivé. La dame fut au comble de la joie. « Que je suis aise de vous revoir, lui dit-elle, après vous avoir tant pleuré ! que je vous ai d’obligation ! sans vous mon mari aurait perdu l’honneur et la vie. Comment pourrai-je m’acquitter envers vous, mon cher Tédalde ! — Je suis trop heureux et trop payé si vous m’aimez, si vous m’avez rendu ce cœur autrefois si tendre et si passionné. — N’en doutez point, mon bel ami, ces tendres baisers doivent vous en être de sûrs garants. » On imagine bien que son amant les lui rendit. Après s’être livrés l’un et l’autre aux plus douces étreintes, après s’être juré un amour éternel, pour mieux sceller leur réconciliation, ils se couchèrent et passèrent le reste de la nuit à goûter des plaisirs dont les seuls amants passionnés peuvent se former une juste idée.

Le jour commençant à poindre, l’heureux Tédalde entretint sa maîtresse du dénoûment qu’il avait dessein de donner à cette espèce de tragédie ; il la pria de nouveau de garder le secret, et sortit de la maison, toujours sous son habit de pèlerin, pour apprendre l’état des affaires d’Aldobrandin.

Les juges, s’étant pleinement convaincus de son innocence, se hâtèrent de révoquer la sentence qu’ils avaient rendue contre lui, et ordonnèrent son élargissement. Peu de jours après, ils condamnèrent les véritables meurtriers à avoir la tête tranchée sur le lieu même où ils avaient commis le crime, ce qui fut exécuté.

Aldobrandin, rendu à sa femme, à ses parents et à ses amis, se fit un devoir de publier que le pèlerin était son libérateur. Il le mena dans sa maison, et le pria d’y demeurer autant de temps qu’il lui plairait. Il y fut fêté, chéri, caressé