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mais je prends à témoin ce Dieu qui m’humilie que je tiendrai tout ce que je vous aurai promis. Parlez, je suis disposé à tenter même l’impossible, pour me conformer à vos désirs, si j’ai le bonheur de recouvrer ma liberté.

— Ce que j’exige de vous n’est pas seulement possible, mais très-honnête : c’est qu’après que j’aurai fait voir votre innocence, vous vous réconciliiez de bonne foi avec les frères de Tédalde, qui ne vous ont poursuivi en justice que parce qu’ils vous ont cru coupable de la mort de leur frère, sur de faux rapports et de faux indices. Voyez si vous êtes dans l’intention de leur pardonner, et de les regarder comme vos amis, comme vos propres frères, après toutefois qu’ils auront réparé, de tout leur pouvoir, le tort qu’ils vous ont fait par erreur. — Quelque doux que soit le plaisir de la vengeance pour un cœur aussi ulcéré que le mien, répondit Aldobrandin, j’y renoncerai volontiers, par égard pour un ami si généreux, et dans l’espoir de faire connaître mon innocence. Oui, je leur pardonnerai tout ce qu’ils m’ont fait souffrir, et je leur pardonne dès ce moment, puisque vous l’exigez. Je vous promets même, si je sors d’ici, de faire toutes les démarches que vous désirerez à cet égard. » Cette réponse plut infiniment au pèlerin. Il exhorta le prisonnier à prendre courage, et lui fit espérer que le lendemain ne se passerait pas sans qu’il reçût de bonnes nouvelles. Il ne jugea pas à propos de lui en dire davantage ; mais il l’embrassa affectueusement avant de le quitter.

Au sortir de la prison, il alla droit au palais, et parvint à obtenir une audience particulière de l’un des principaux magistrats, fort renommé par son intégrité. « Vous savez, monseigneur, lui dit-il, que tous les hommes sont intéressés à connaître la vérité, particulièrement les personnes de votre état, afin que les innocents ne payent point pour les coupables. Je suis persuadé que vous seriez fâché de faire périr un homme dont on vous aurait fait connaître l’innocence ; c’est ce qui me fait prendre la liberté de venir vous représenter que vous avez agi avec trop de rigueur envers le nommé Aldobrandin Palermini, qu’on est sur le point de faire mourir. Je vous rends trop de justice pour vous soupçonner de mauvaise foi, vous et les autres magistrats qui l’avez ainsi jugé. Vous n’avez agi de la sorte que parce que vous l’avez cru réellement coupable de la mort de Tédalde Éliséi. Mais je vous avertis que ce n’est point lui qui a commis ce crime ; il est entièrement innocent, et je me fais fort de vous en convaincre avant la nuit, en vous faisant connaître et en vous livrant les véritables assassins. »

Le juge, qui n’était pas intimement convaincu du crime d’Aldobrandin et qui ne l’avait vu condamner à mort par ses confrères qu’avec regret, fut bien aise d’entendre parler ainsi le pèlerin. Il l’interroge, et ayant appris ce que Tédalde avait entendu la nuit passée, il donne aussitôt des ordres pour faire prendre les trois coquins et la femme. Ils furent arrêtés la nuit suivante, au