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la rassure en lui disant : « Ne craignez rien, madame ; je suis cet amant infortuné ce Tédalde qui vous fut si cher, et que vous et mes frères croyiez mort sans raison. Ce n’est pas moi qu’on a tué, mais quelque autre qu’on a pris pour moi. » Hermeline fut quelque temps dans le trouble ; mais enfin, revenue de sa frayeur, et le reconnaissant au son de sa voix et aux traits de son visage, qu’elle examina plus attentivement, elle l’embrassa les larmes aux yeux, et lui témoigna par mille caresses le plaisir qu’elle avait de le revoir. Tédalde y répondit de son mieux, et eut beaucoup de peine à contenir les transports de son amour. Il remit pourtant à un autre moment le plaisir qui manquait à son bonheur, parce qu’il n’y avait pas de temps à perdre pour sauver le mari. « Je vais m’occuper, dit-il, de son élargissement, persuadé que vous serez plus constante et plus raisonnable que par le passé. Je me flatte que vous le verrez libre et blanchi de toute accusation dans moins de deux jours. Je reviendrai vous rendre compte de mes démarches, et puis je vous raconterai à loisir tout ce qui me concerne. Soyez tranquille sur le sort d’Aldobrandin : j’ai des preuves de son innocence, et je les ferai valoir. »

Tédalde, ayant repris son chapeau et son habit de pèlerin, embrassa de nouveau sa chère Hermeline, et la quitta pour se rendre à la prison où son mari était détenu. Il le trouva pâle, défait, et plus occupé des idées de la mort que de l’espoir de sa délivrance. Il entre dans son cachot, du consentement de ses gardes, qui crurent qu’il allait pour le consoler. « Aldobrandin, lui dit-il, je suis un de vos amis, qui connaît votre innocence, et que Dieu vous envoie pour vous délivrer de l’infamie dont on vous a couvert, et du supplice qu’on vous prépare. Le jour de demain ne se passera pas sans que j’aie fait triompher votre innocence. J’y mets seulement une condition, et je me flatte que vous ne vous y opposerez point.

— Homme de Dieu, répondit le prisonnier, quoique vous me soyez parfaitement inconnu, et que je ne me souvienne seulement point de vous avoir jamais vu, je crois sans peine que vous êtes de mes amis, puisque vous le dites et que vous vous intéressez à mon triste sort. J’ignore par quel moyen vous avez pu découvrir mon innocence, mais je puis vous assurer, en toute vérité, que je n’ai point commis le crime pour lequel on m’a fait essuyer la question, et dont la violence des tourments m’a fait avouer coupable. Dieu a sans doute voulu me punir de mes autres péchés, qui sont en grand nombre ; sa volonté soit faite, pourvu que j’obtienne son saint paradis. Je suis aujourd’hui fort détaché de la vie ; je vous avoue cependant que je serais charmé de vivre, ne fût-ce que pour faire connaître mon innocence et rétablir mon honneur si indignement flétri. D’après cela, vous pouvez juger de l’obligation que je vous aurai et de l’étendue de ma reconnaissance, s’il est en votre pouvoir de me délivrer de la mort qui m’attend : Non-seulement je vous promets de faire ce que vous exigerez de moi ;